Le plus beau jour de ma vie

C’était le 12juin 2003. Cela faisait déjà trois ans que j’avais rejoint l’agence.

Delphine m’avait appelé en mars 2000. J’étais en pleine écriture de thèse. Cela faisait quatre longues années que je travaillais sur le même sujet. J’avais assez de résultats et de publications. Je pouvais hélas soutenir. Hélas, car soutenance signifiait départ du laboratoire et quitter mes amis. La soutenance signifiait également avoir à rechercher un emploi et découvrir que les docteurs au chômage étaient très nombreux. Je ne pouvais prétendre à un poste dans mon laboratoire. L’ami avec qui je travaillais, avait mis des années avant d’avoir un poste fixe. Il avait effectué de nombreux post-docs à l’étranger et possédait un curriculum vitae aussi épais que les pages jaunes. J’étais donc grillé.

L’écriture était laborieuse. J’écrivais cinq pages, j’en effaçais quatre. Delphine m’appelait de son bureau. Elle m’indiquait qu’une de ses amies recherchait quelqu’un avec mon profil. Le contrat n’était que de quatre mois mais cela me permettrait de me faire une idée du milieu du travail et cela me permettrait également de me changer les idées et de faire un break dans la rédaction de ma foutue thèse. J’étais mort de peur. Je me suis quand même décidé à appeler la personne en charge du recrutement. J’ai eu un rendez-vous quelques jours plus tard.
J’ai finalement été choisi. Le contrat de quatre mois s’est transformé en contrat de huit mois. Le CDD s’est transformé en CDI. Trois ans plus tard, je n’avais toujours pas passé ma thèse. Plus le temps passait, plus j’avais peur de soutenir. Je me sentais de moins en moins capable de faire une longue présentation sur un sujet abandonné il y avait plus de trois ans.

En février 2003, un miracle (ou un malheur) se produisit. Je me suis payé une « volumineuse hernie molle d’allure exclue ». En gros, j’en ai chié pendant deux mois, j’ai perdu 15 kilos (alors là, merci Madame hernie), je suis passé par la case hôpital, mais j’ai surtout eu le temps de me concentrer sur ma thèse. Je portais toute la journée un corset rigide qui me forçait à rester assis. Je passais donc beaucoup de temps sur mon ordinateur. La douleur m’encourageait à écrire et je ne pouvais m’arrêter de taper sur mon clavier. Mes amis du laboratoire passaient à la maison et nous faisions le point. Ils avaient décidé de me faire présenter des résultats à un congrès et m’avaient inscrit sans trop me demander mon avis. Je me suis pointé au congrès. Je ne pouvais pas respirer. Mon corset me serrait trop. Si je l’enlevais, je tombais car il me soutenait. J’ai donc présenté des données shooté aux benzodiazépines, le souffle coupé en avançant face à l’auditoire tel Scarlett O’Hara ou plutôt Robocop. La présentation fut à chier mais cela m’avait donné une petite idée de ce qui m’attendait le jour le la soutenance.

Jeudi 12 juin 2003 à la faculté de médecine. A 15h00. Le jour était fixé. Je ne pouvais plus reculer. Une heure de présentation et une heure de questions. L’écriture était terminée. Il fallait maintenant soutenir. C’était l’exercice le plus compliqué. Faire semblant de maîtriser un sujet laissé de côté trois ans auparavant. Le jury était composé de mandarins. J’étais persuadé que j’allais me faire descendre en beauté. Il fallait penser à de nombreuses choses. Réserver une salle, un vidéo projecteur, lancer les invitations, faire publier le jour de la soutenance, réaliser les diapositives, faire de multiples déplacements à la faculté. Discuter avec les membres du jury. Répéter. M’entraîner à présenter. Faire attention aux gestes, au ton de la voix. J’étais mort de peur.

Le jour est enfin arrivé. Je répétais dans la cuisine. Maman m’appelait toutes les ½ heures.

« Chéri, je suis chez le traiteur, et si je prenais un fraisier en plus ? »

« Mickey, je vais prendre finalement deux tartes au citron »

« Titou, Comment allons nous garder le Champagne au frais ?»

Au bout du dixième appel, j’ai hurlé sur ma mère en lui expliquant que j’avais un machin à présenter et que je ne pouvais pas me concentrer si elle passait son temps à m’appeler. J’ai préparé mes affaires, pris une douche, et enfilé un costume. J’étais ridicule. Je ne l’avais pas essayé depuis fort longtemps. Comme j’avais perdu beaucoup de poids, je flottais dedans.
Je suis finalement sorti. Je tremblais. Le temps était magnifique. C’était une belle journée de juin. Je me suis engouffré dans le métro. Direction Odéon. Je me suis rendu au laboratoire puis dans la salle. L’auditoire et le jury sont arrivés. Mamie était venue. Elle avait très mal aux pieds et avait amené ses chaussons.

« Je suis si heureuse que tu soutiennes avant de me retrouver six pieds sous terre » disait-elle à 91 ans.

Elle était assise à côté de Maman à droite, près d’une fenêtre. Snooze, mes amis et mes collègues étaient à gauche. Tout d’un coup, le président m’a demandé de commencer ma présentation. Je ne m’y attendais pas. J’ai démarré au quart de tour. Les diapositives défilaient. J’était dans mon monde. Je ne voyais personne. Soudain, j’ai vu mes amis du laboratoire me faire signe de ralentir. C’était comme une épreuve sportive. J’étais à deux doigts de l’arrivée. C’était fini. J’avais passé la ligne d’arrivée. Il fallait maintenant répondre aux questions.

Je commençais à avoir mal au dos. J’ai demandé à m’asseoir. Tout se passait plutôt bien. Le jury a commencé à partir dans un délire. On était passé de la science à la philosophie. J’avais hâte que cela se termine. Les questions ont duré près de deux longues heures. J’étais épuisé.
Le jury a délibéré. J’ai remercié tout le monde et j’ai commencé à chialer tel Miss France recevant sa couronne. C’était ridicule mais je ne pouvais pas m’arrêter. En me voyant pleurer, mes amis du laboratoire ont commencé eux aussi à verser une larme, puis vint le tour de ma mère et de ma grand-mère. Cela m’a encore plus fait pleurer.
Tout le monde s’est retrouvé autour d’un verre. J’étais heureux. J’étais enfin Docteur. Je m’étais promis, dès mon arrivée en faculté, que je serai Docteur un jour. Docteur. Docteur. Docteur. Ma vie allait enfin changer. Je n’allais plus être stressé par cette maudite thèse.

Bilan plus de deux ans plus tard. Je n’ai pas perdu ma couronne mais les problèmes sont toujours présents. Je ne suis plus stressé par ma thèse mais par d’autres choses. La vie est ainsi faite. Et dire que Snooze n’a toujours pas passé sa thèse…Mais finalement, et si le plus beau jour de ma vie était celui ou j’ai rencontré Snooze à la faculté il y a plus de quinze ans?

Putain, quinze ans…

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