Transmission de gènes (I)

J’ai très peu de souvenirs de mon arrière grand-mère maternelle. C’était une véritable auvergnate. Des cheveux blancs tirés en arrière. Un petit chignon. Toujours vêtue de noir. A sa mort, nous avons retrouvé de la bouffe planquée dans toute la maison. Si les Allemands étaient revenus…

Après le décès de mon grand père maternel, nous avons trouvé une grande clef noire. Elle ouvrait la porte d’une armoire en bois cachée sous un drap épais au fond du garage. Nous ne savions pas ce qu’elle contenait. Comme beaucoup de personnes de cette génération, mes grand-parents avaient connu de nombreuses privations. Pendant la première guerre mondiale, puis pendant la seconde. Papy Jo avait peur de manquer. L’armoire contenait 150 kilos de sucre et 40 litres d’huile d’arachide.

Lorsque je vivais chez ma mère, il y avait un grand placard blanc dans la cuisine. Il était rempli de conserves diverses, de confitures, de sucre et d’huile. On ne savait jamais. En cas de crise, ou pire, de guerre. Nous étions pourtant à l’aube des années 80. Qu’importe, il ne fallait surtout pas manquer.
Ma mère a travaillé plus de quarante années à l’assistance publique. Elle a terminé sa carrière il y a un peu plus de 10 ans. Elle était générale. Elle était surtout usée. Elle s’est retrouvée du jour au lendemain sans travail. Elle était perdue. De plus, elle avait toujours peur de manquer. Cette peur n’était pas fondée. Sa retraite était confortable et elle possédait son appartement à Paris. Pourtant, la peur du lendemain était bien présente au fond d’elle même. Il fallait que le placard blanc soit toujours plein. Elle postula donc au service médical d’un grand magasin situé sur le boulevard Haussmann. Elle resta jusqu’à ses 65 ans, année de la retraite obligatoire dans le privé. A 65 ans, elle poussa le vice à s’inscrire dans une agence d’intérim. Elle a travaillé en « free lance » pendant quelques temps jusqu’à faire des remplacements au siège d’un grand syndicat de gauche. Elle a tout de suite été adoptée. Nous allons fêter ses 70 ans dans 8 mois. Mais quand va-t-elle s’arrêter ?

Dans notre cuisine, il y a un grand placard rouge. La partie supérieure est remplie de sucre, de farine, et de chocolat. Une partie est consacrée aux confitures. Le congélateur dégueule de victuailles.

Les chiens ne font pas des chats.

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