White is white

Mais pourquoi m’étais-je embarqué dans cette fichue galère ? Tout simplement parce que je n’ai jamais su dire non. Accessoirement parce que Snooze prévoyait de m’abandonner toute la semaine pour se la couler douce à Barcelone. Bonum lui avait proposé de participer à un congrès au frais de la princesse et le pauvre chou pouvait difficilement refuser. Le lecteur attentif remarquera que je m’étais sacrifié de mon côté il y a une dizaine de jours. J’avais alors échangé une semaine fantastique à Chicago contre une semaine de merde dans les cartons. De la à prouver que je l’aime plus qu’il m’aime, il n’y a qu’un tout petit pas. Bref, j’étais seul et abandonné et j’ai vite accepté une invitation à dîner en compagnie de l’incroyable Fabien. AbFab m’avait ainsi proposé de l’accompagner à une soirée organisée par ses amis. La seule obligation était de s’habiller en blanc des pieds jusqu’à la tête.

Plus le temps passait, plus j’étais angoissé à l’idée de participer à la petite sauterie. La soirée paraissait bien mystérieuse et les informations arrivaient au compte goûte. Nous étions censés être plusieurs milliers et il fallait venir en couple. Pas en couple pédé, nan. En couple homme femme classique. Fabien m’avait donc trouvé une cavalière se prénommant Agathe. C’était également la première fois qu’elle participait à la fameuse soirée blanche. Juste avant de passer mes examens, j’ai reçu un courrier m’indiquant le lieu et l’heure du rendez-vous. Je devais me rendre à 20h30 près du Château du Prunay à Louveciennes. Lorsqu’on est assez vaniteux pour se débrouiller seul et surtout lorsqu’on ne possède pas son permis de conduire, se rendre dans une telle contrée relève de l’exploit olympique.

Je devais donc me rendre jusqu’à la défense et emprunter un bus. J’étais censé arriver à la station Pavillon Halévy vingt-six arrêts plus tard. Mais c’était trop facile. Il fallait également que je me munisse d’une table de bridge, de deux chaise pliantes blanches, de trois bougies accompagnées de leurs photophores, d’une bouteille de champagne, d’une bouteille de vin rouge et enfin d’une bouteille d’eau. Ma cavalière devait de son côté apporter un panier comprenant quatre assiettes blanches en porcelaine, une nappe blanche, deux serviettes blanches, deux vrais verres, de vrais couverts, une entrée gourmande, un plat principal cuisiné froid, un fromage, un dessert et enfin du pain. N’ayant pas de table de bridge, j’ai fait un détour chez Cécilou afin de lui emprunter sa table pliante en bois. Ce fut également l’occasion de faire un gros bisou à la plus choupinette des filleules.

Je suis arrivé à mon rendez-vous deux heures après mon départ de la place de la République. J’ai la chance de ne jamais transpirer. Cependant, je suis arrivé en suant comme une truie, les rillettes sous les bras (ouhlala c’est bon ça), face à des dizaines de personnes vêtues de tenues blanches immaculées et chicissimes se demandant certainement pourquoi un gueux immonde se dirigeait vers eux (le second exploit olympique étant d’arriver encore blanc après avoir passé deux heures dans les transports en plein dans les heures de pointe). Horreur, malheur. Scrounch scrounch scrounch breuh (bruit du piège se refermant sur moi). Fabien n’était pas présent, je ne connaissais personne et me trouvais paumé au beau milieu d’une centaine de représentants de la haute bourgeoisie parisienne. Dans un cas comme celui là, ne surtout pas parler politique sous peine de casser l’ambiance (et accessoirement se faire expulser).

Trois bus nous attendaient et devaient nous transporter jusqu’à une destination mystère. J’ai retrouvé ma cavalière et une gentille organisatrice nous a remis les précieuses consignes. Nous devions arriver sur place à 21h30 et n’avions que six minutes pour installer et dresser notre table. Le but était d’occuper une place particulièrement remarquable de Paris et d’y dîner de façon autonome mais avec « éclat et l’élégance ». Versailles, le Pont des Arts, le Champ-de-Mars, le site de la Tour Eiffel, la Pyramide du Louvre, la Place de la Concorde, l’Esplanade du Trocadéro, la Place Vendôme et l’Esplanade des Invalides avaient déjà été investis les années précédentes. Tout le monde était impatient de connaître la fameuse destination. Tadaaaah. Nous allions envahir la place de l’étoile (pratique pour un méchoui).

A 21h35, deux mille cinq cents couples étaient attablés face à l’arc de triomphe (7.500 selon les organisateurs, 2.000 selon la police). Les mets étaient délicats, l’ambiance vraiment très conviviale et le lieu véritablement magique. Les femmes étaient placées face à l’étoile. Je n’avais malheureusement pas apporté avec moi une table réglementaire. Elle était bien plus petite que la table de bridge demandée. Qu’importe, l’important était de participer dans la joie et la bonne humeur.
Avant de s’asseoir cavalières et cavaliers devaient effectuer un pas à droite, avec pour conséquence de placer chacun à une table qui n’était plus la sienne mais à laquelle il se trouvait être l’invité de son voisin. Les touristes hallucinaient et prenaient de nombreuses photographies. Des caméras de télévision étaient même présentes.

La police était impuissante face au nombre impressionnant de squatteurs. Il était impossible de nous déloger. A chaque passage des autorités, les joyeux festoyeurs agitaient leurs serviettes. Je connaissais (lointainement) la plupart de mon entourage car nous étions issus de promotions voisines à la Faculté. J’ai fait connaissance avec mes nouveaux voisins et complètement ignoré la cavalière que l’on m’avait initialement assigné. Fabien était à ma gauche. Nous avons longuement discuté. C’était peut-être la première fois qu’il se confiait autant à moi. Peu avant minuit nous devions tous nous transformer en citrouilles. Un cor de chasse indiquait la fin du repas.

La consigne était de replier les tables et de déposer les restes dans des sacs poubelle. Quelques minutes plus tard, les milliers de dîneurs en blanc avaient disparu après avoir restitué la place de l’étoile dans un état parfait. La pluie a commencé à tomber juste après notre départ. L’incroyable Fabien a eu la gentillesse de me raccompagner en compagnie de deux copines.
J’étais rassuré. J’avais passé une soirée de princesse et je n’allais pas passer la nuit seul comme un gland sur le parking du Château du Prunay.
Note pour l’année prochaine dans l’hypothèse ou je serais de nouveau invité : passer son permis de conduire et acheter une table de bridge.

PS: J’espère que le congrès de ce batard de Snooze était bien pourri. :thumbdown_tb:

Et comme le diraient Hiro Nakamura et KassNoizett: Gambatteeeeee !!!! Yattaaaaaaa !!!!

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