Le mensonge

« En cette période qui commence à fleurer Noël et son gros bonhomme rouge, je me demande souvent, moi qui n’ai jamais cru au Père Noël, quel effet ça fait quand on découvre que nos parents, toute notre famille, tout le monde en fait, nous ont baladés avec cette histoire à dormir debout, qu’on a été victime d’un complot d’ampleur quasi planétaire. »

Telle est la question que se pose Kozlika dans un récent billet. Mon histoire est bien loin de celle du père Noël car l’imposture du vieux barbapou bedonnant tout rouge et qui pue ne dure généralement que quelques années dans le meilleur des cas, avant qu’un ami bien intentionné ou une institutrice ne démontre que la petite souris ou les cloches ne sont que foutaises. Dans mon cas, le mensonge a duré une vingtaine d’années. Rien de bien grave toutefois. Juste un petit sentiment d’avoir été pris pour un imbécile pour d’obscures raisons.

Il y a toujours eu de l’eau dans le gaz entre mes parents qui n’étaient vraiment pas faits pour vivre ensemble. Nan nan. C’est comme ça. Je ne me souviens d’aucun instant complice ni du moindre moment de joie entre eux, même pendant les fêtes, les réunions de famille ou les anniversaires. Ils se côtoyaient et se toléraient, un point c’est tout. Le divorce était impensable car les individus issus de bonnes familles ne se séparaient pas. Ma mère s’est cependant résolue à quitter le domicile conjugal après enfin avoir eu la preuve que mon père la cocufiait en trouvant des boucles d’oreilles ne lui appartenant pas dans son lit. Elle a rempli une affreuse valise en faux cuir rouge, y a glissé trois culottes, deux pantalons et le livret de famille, m’a permis de prendre un ours en peluche orange tout râpé et s’est dirigée vers la gare sans oublier de poster sa lettre de démission de l’hôpital où elle travaillait à l’époque. Deux heure plus tard, nous nous retrouvions dans un hôtel parisien, sans un sou. En deux petits jours, elle avait retrouvé un travail à l’hôpital Tenon et un appartement vide à quelques mètres des Buttes-Chaumont.

Mon père accepta notre départ sans broncher. Il était à la fois débarrassé d’un mouflet dont il ne s’occupait jamais et d’une femme qu’il n’aimait plus. Il pouvait aisément transformer la maison familiale en lupanar intergalactique géant sans risque de se faire griller par sa moitié. Je crois qu’il est l’inventeur de la fête du slip. Mais il fallait toutefois sauver les apparences. Le couple était en crise, 200 kilomètres les séparaient, mais ils n’étaient pas divorcés. Il montait donc à Paris un week-end sur deux pour passer du temps avec moi. Il passait surtout du temps à s’occuper de lui et à se faire servir. Lorsqu’il retournait en province, j’étais très triste car mon pauvre papa rentrait seul à la maison.

Je passais généralement les vacances de la Toussaint, une semaine à Noël, les vacances de février et le mois de juillet en sa compagnie. La maison Bourguignonne était grande. Bree van de Kamp avait déjà pris possession de mon corps et je passais mon temps à briquer et nettoyer la cuisine ou le garage. Il fallait que je sois un bon fils. Mon devoir était d’aider mon pauvre papa qui vivait seul dans cette grande baraque. Lorsque j’étais présent, il prétextait qu’il avait beaucoup de travail. Il me montrait toujours son agenda qui dégueulait de rendez-vous, du lundi matin 8h00 au dimanche midi. Les patients ne pouvaient pas attendre. Parfois je retrouvais des objets ou des vêtements étranges à la maison. Parfois les meubles changeaient de place sans aucune raison. Je trouvais également des magasines féminins, mais je n’y prêtais pas attention car mon père les achetait très certainement pour son cabinet. Des cigarettes mentholées traînaient également dans le salon. Je trouvais cela curieux alors que mon père ne fumait que des Craven A.

La petite mascarade a duré jusqu’à ma majorité. Mon père est venu me chercher en voiture à la gare. Vingt kilomètres nous séparaient de la maison. Il avait donc un quart d’heure pour m’annoncer qu’une femme vivait dorénavant avec lui et qu’elle s’était installée à la maison. J’ai appris plus tard que les boucles d’oreilles retrouvées quinze ans plus tôt par ma mère lui appartenaient. J’ai également compris qu’elle avait toujours habité en sa compagnie et qu’elle effaçait toute trace de sa présence avant mon arrivée. Le couple n’avait ainsi jamais eu les couilles d’annoncer leur liaison. Aucun habitant du village n’avait gaffé en quinze ans. Tout le monde avait réussi à garder ce stupide secret. Mon père n’a jamais abordé le sujet. J’ai rassemblé seul les pièces du puzzle au fil des ans. J’assemble encore maintenant les pièces. Cela me permet de comprendre et d’analyser certaines situations qui me paraissaient vraiment étranges à l’époque.

Il y a bien entendu plus grave comme secret. Ici, point de cadavre dans un placard. L’histoire est plutôt cocasse.

Je lui en ai longtemps voulu. Encore aujourd’hui. Cependant, et comme le dit l’adage, il faut penser à balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres. Comme mon père, j’ai menti à mon entourage en cachant ma relation avec Snooze. Comme mon père, j’ai attendu des années avant « d’avouer » à mes amis proches et à ma mère que Snooze était l’homme de ma vie. Comme mon père, je continue à mentir à certaines personnes. J’ai toujours en ma faveur l’excuse du « c’est-vraiment-pas-facile-d’annoncer-qu’on-aime-la-bite » et celle du « je-vais-être-catalogué-pédale-de-service » ou « ils-ne comprendront-pas-de-toutes-les-façons ». J’ai eu et j’ai encore tort de ne pas être transparent et de vivre dans le péché mensonge. Oui, je sais.

Comme quoi, les chiens ne font pas des chats. :king_tb: .

Ce qui ne signifie pas que je passe mon temps à cocufier mon mari, hein.

20 commentaires sur “Le mensonge

  1. Ha mais roidetrefle ne pas être transparent ne veut pas dire menteur. Ce qu’il y a de terriblement destructeur avec le mensonge, c’est lorsque tu as l’impression que l’on t’a prise pour une conne, mais parfois le mensonge peut aussi protéger l’autre. Je ne crois pas à cette idée qu’il faut TOUT dire et pour ce qui était de ta relation avec Snooze, j’imagine combien cela peut être difficile à révéler avec tout de même le risque d’être regardé différemment après. Encore un mot, je trouve beaucoup de courage à ta mère et d’une certaine façon ton père était fidèle non (à sa maîtresse certes)

  2. Dans le « ne pas dire », il y a parfois aussi un côté « pour vivre heureux vivons cachés » que je ne trouve pas dans l’histoire de ton père. Si tout le monde était au courant et qu’il s’agissait de te faire gober à toi seul un bobard, ce n’est tout de même pas la même chose que de vivre au large de pas mal de monde pour se protéger, se donner une chance de voir cet amour grandir et d’en être assez sûr pour le clamer haut et fort.

    Enfin peut-être que je ne suis pas objective, mais il me semble.

    Bref, comme Valérie, quoi, dit la fille qui lit les commentaires à contrecoup. :blink_tb:

  3. … chez moi j’ai cessé de croire au même type de Père Noël que toi assez tôt, vers 12-13 ans quand j’ai compris que la secrétaire de mon père était sa maîtresse, aidée en cela farpaitement par ma mère qui me l’avait annoncé en pensant faire de moi une arme contre lui … pendant des années je n’ai pas su qui avait fait la poule et qui l’oeuf dans cette histoire … puis j’ai compris en en souffrant ignoblement moi-même que l’alcoolisme de ma mère était probablement la poule …
    J’ai donc progressivement admis que « l’autre femme » était une bonne chose pour mon père, qui ne souhaitait ni divorcer ni quitter la maison avant d’avoir achevé de m’élever (il ne l’a fait qu’après mon mariage à 23 ans) … Nous avons donc vécu toute mon enfance dans le mensonge : celui d’une autre femme qui n’existait pas et celui d’une mère alcoolique et suicidaire qui ne buvait ni ne tentait de mettre fin à ses jours … Mais le Père Noël a achevé de casser sa pipe assez durement je dois l’avouer l’année de mes 20 ans quand j’ai appris « par hasard » et sur le ton de la conversation banale de la propre bouche de mon père obligé de ma l’annoncer puisque j’allais me trouver quelques minutes plus tard devant « l’autre » (que j’appréciais par ailleurs), qu’elle allait accoucher dans deux mois …. Là je me suis sentie trahie par mon propre père, qui n’avait vraiment pas su trouevr les mots avant, ni le courage … j’ai mis 3 ans à lui pardonner … et je n’ai connu mon petit frère que l’année de ses trois ans … Saleté de Père Noël, va … Et inutile de préciser que, comme chez toi, même si je ne mène la vie ni de mon père ni de ma mère maintenant décédée, le mensonge est une culture d’Etat chez moi …
    Et après on nous explique Françoise Dolto, Bros Cirulnik, la résilience tout ci tout ça … Ben faut juste vivre avec ça, quoi … Comme on peut, c’est tout.

  4. Il me semble que tu avais déjà écrit sur cette situation, en partie.Je réalisais pas que ça avait duré aussi longtemps. :blink_tb:
    D’accord avec Anne et Valérie, on peut mentir pour se protéger, protéger l’autre…Quand il y a toute une mise en scène, tout un tas de personnes au courant autour, on prend le risque que ce soit finalement + blessant qu’autre chose. :huh_tb:

  5. Je ne sais pas si les chiens ne feraient pas des chats…
    J’ai aussi (comme à peu près tout le monde, je suppose) un passé familial un peu disons, chargé, et parfois il m’arrive de remarquer des similitudes…
    Ma grand-mère est, d’après les dires, mon arrière-grand-mère en pire, ma mère prend tout droit le même chemin de sa détestée mère et moi, dans des moments de spleen, je remarque que merde, j’ai des gènes encrés en moins, qui, je pensais tout faire pour qu’ils soient recessifs, sont malheureusement en train de s’exprimer…

  6. Moi je ne pense pas que ton père voulait te protéger, ou alors je n’ai rien compris à ton histoire… Mais c’est quand même incroyable que quelqu’un ne se soit pas fait le plaisir de tout te déballer lors de tes vacances, juste pour le plaisir, hein, cela existe cela aussi.

    Mais non, tu n’es pas comme lui. Tu as le droit de choisir, c’est ta vie, non tu ne peux pas comparer je t’assure.

    Moi aussi je trouve que ta mère a été super courageuse ! Surtout à l’époque…

    Je t’embrasse ami roidetrefle.

  7. @ Zep: Je dois vraiment être la reine des quiches… :king_tb:

    @ Valérie: Pas persuadé que mon papounet ait été fidèle à ma belle doche avant qu’elle ne lui passe la bague au doigt… :blink_tb:

    @ Anne: “Pour vivre heureux vivons cachés”, C’est ce que j’ai longtemps appliqué pour moi et Snooze. :happy_tb:

    @ The 6L20: Dans ce cas bien précis, c’est plutôt mentir pour mentir et s’enfoncer petit à petit. Proche de la pathologie. :huh_tb:

    @ Manue: Elle est vraiment dure ton histoire Manue. Quand j’écrivais qu’il y avait bien entendu plus grave comme secret…

    @ Mavie: Mon père est un puis d’inspiration tu sais. :thumbup_tb:

    @ fcrank: Mais oui c’est ridicule comme prénom Snooze. Et le vrai l’est encore plus, tu en sais quelque chose, hein? :devil_tb:

    @ Flo: ah les mystères de la génétique! :laugh_tb:

    @ Fauvette: Mais moi non plus je ne le pense pas. Il ne pensait qu’à lui dans cette histoire. :annoyed_tb:

    @ Garfieldd: Si je te disais que ma belle-mère à le même nez, la même couleur de cheveux et les mêmes fesses que Piggy, tu me crois? :king_tb:

  8. Je ne crois pas que la transparence en tout et en toutes circonstances soit nécessairement une bonne chose. Le mystère, la surprise, la découverte font autant le sel de la vie que la transparence et l’harmonie, voyons ! Tenez, moi par exemple, je ne veux à aucun prix que l’on me dise comment le Père Noel garde une barbe blanche malgré ses passages dans les cheminées (à Noël, hein, pas le reste du temps). Je veux le découvrir par moi-même. Non, non, ne me dites pas.

  9. c’est affolant de constater à quel point les parents peuvent amocher leurs enfants pour le restant de leurs jours… mon histoire ressemble un peu à celle de Manue avec pour pimenter un peu un 1/2 frère présenté comme un vrai, etc…

    Vous inquiétez pas, hein, mon enfance est pas plus chouette que la votre… :annoyed_tb: et à 56 ans, elle continue à m’empoisonner la vie !!!

  10. Impressionnant comment j’ai visualisé tout de suite une femme une valise à la main et un petit roidetrefle de l’autre sur le quai de la gare… avec comme musique de fond celle de mon palpitant. :jittery_tb:
    Et pis t’arrêtes de mettre des illustrations rigolotes sur un billet aussi sérieux! NanMèHo! :annoyed_tb:

  11. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Il y en a d’autres, en plus grand nombre, qui ne sont pas meilleurs à entendre. (Léon BLOY, Exégèse des lieux communs, 1902)
    En clair, je comprends que tu n’es pas annoncé haut et fort à toute ta famille ton amour pour Snooze :wub_tb: .

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