Une belle mort

Le sujet ne se prête certainement pas à la légèreté estivale. Qu’importe. Tout le monde ne se rafraichit pas au bord d’une piscine ou d’une plage, les doigts de pied en éventail. Il reste une quantité certaine de crétins à Paris, crétins qui travaillent dans des bureaux en plein soleil, sans climatisation et ou le mercure frôle régulièrement les trente-cinq degrés Celsius au beau milieu de l’après-midi. Un comble lorsqu’on a pour mission de mettre au point un plan canicule qui tienne la route.

Le frère et la belle sœur de Snooze ont passé la journée de dimanche dernier en notre compagnie. Julien semblait contrarié. Sa grand-mère était hospitalisée depuis quelques semaines. Insuffisante rénale chronique, sous dialyse, presque aveugle, elle ne pouvait décemment plus rester seule dans son appartement parisien. Lorsque Snooze a tenté de réunir nos deux familles en décembre, j’avais eu un choc en la revoyant. Elle était diminuée, fatiguée, presque l’ombre du titi parisien que je connaissais. Ma grand-mère de 96 ans, dix ans de plus qu’elle, paraissait bien plus alerte et dynamique. J’ai compris ce jour là que j’avais beaucoup de chance d’avoir une aïeule aussi alerte et indépendante à l’aube de ses cent printemps. Car ma vision de la vieillesse était biaisée. Ma grand-mère n’a que très peu fréquenté les hôpitaux et taquiné la maladie, vit seule en Corrèze, voyage sans accompagnateur et s’occupe de son jardin comme une grande. Même si diminution physique il y a, elle semble supportable.

Je ne me suis jamais mêlé des affaires de la famille Snooze. Nous en avons parfois discuté en compagnie d’Absinthe, ma belle-sœur. Leur grand-mère semble avoir brûlé la chandelle par les deux bouts et s’être transformée en mini Tati Danielle. Pour résumer brièvement la situation, la famille a sévèrement dégusté des agissements de cette grand-mère Rock n’Roll. La plupart de ses descendants a ainsi profondément souffert de son comportement et semble dorénavant se braquer. Personne ne peut ni ne souhaite l’accueillir au sein de son foyer et la recherche d’une place en maison de retraite est plus que jamais à l’ordre du jour. Un tel placement se révèle cependant être problématique. Moralement, car leur grand-mère passera du statut d’individu plus ou moins indépendant à celui de personne assistée résidant dans une sorte d’antichambre de la mort. Financièrement également, la moindre chambre parisienne coutant l’équivalent du salaire d’un cadre supérieur ou d’un rein (sans jeu de mots).

Cerise sur le gâteau, elle commence à oublier et confondre individus, choses et situations. Hospitalisée transitoirement, la famille devra rapidement faire face à ses responsabilités et décider du sort qui sera réservé à cette grand-mère bien encombrante et en fin de parcours. Pas facile de trouver le juste équilibre entre son propre confort moral ou matériel, et le choix du meilleur placement médicalisé possible. Snooze est froid. Il méprise sa grand-mère, source pour lui de toutes les tensions familiales. Alors qu’il ne cesse de juger mon comportement vis-à-vis de mon père, il n’agit pas différemment avec elle. Moi qui passe mon temps à taquiner Snooze en lui disant qu’il me retrouvera un jour tout froid à côté de lui après avoir claqué en plein sommeil, c’est finalement tout ce que je me souhaite. Un peu moins pour lui car seuls les survivants trinquent.

C’est bon l’égoïsme. :king_tb:

12 commentaires sur “Une belle mort

  1. La dépendance n’est pas symétriquement opposée à l’autonomie. Quelque soit les situations de handicap, nous devons toujours veiller à préserver l’autonomie des personnes, leur liberté de faire des choix, même si ces derniers seront de fait de plus en plus limités !
    Dominique.

  2. « C’est bon l’égoïsme » tu ne crois pas si bien dire. Il existe des tonnes de petits vieux qui n’anticipent même pas leur fin, qui va partir le premier dans le cas de couple, les dispositions à prendre en cas d’assistance médicalisée ou bien même les souhaits d’après mort (enterrement, lieu, crémation…) Les enfants rament ensuite comme des forçats et parfois non même pas suffisamment d’argent pour couvrir tous les frais. On me rétorquera que notre société/culture se débarrasse de nos vieux au contraire de certaines autres qui trimballent leurs aïeux jusqu’au bout dans le deux pièces avec les tantes et les cousins.
    J’ai commencé à engueuler les miens de parents (79a et 77a) qui sont alors complètement irresponsables sur ce sujet. Heureusement pour eux, on les aime.

  3. Ce genre de note me fait très peur… Parce que je suis fils unique et que tôt ou tard j’aurai seul la charge de mes parents… Et je ne sais ni si j’ai les reins suffisamment solides, ni comment je ferai pour m’occuper d’eux…
    Bon bah je vais essayer de profiter encore un peu du soleil qui entre dans mon bureau sans clim moi :blink_tb:

  4. Le pire dans l’histoire pour moi étant qu’elle ne veut pas se soigner….et c’est comme ça depuis des années, elle est persuadée de savoir mieux que les médecins et pense que ces derniers veulent la tuer.
    Ce qu’il faut le reconnaitre ne simplifie pas les choses.
    Récemment en pensant à cette situation, je me suis dit que le mieux pour notre génération était peut-être de ne pas avoir d’enfant….je me vois mal à peine avoir assuré le futur de mes enfants, devoir m’occuper de mes parents.
    J’en viens à me dire, que le mieux est peut-être de profiter de ma liberté pour le moment et d’être là quand mes parents en auront besoin.

  5. Aie ! tu touches un point sensible là (comme dans beaucoup de familles, je crois !)
    Donc voici ma contribution au sujet : mon homme (fils unique) a des rapports avec ses parents que je ne comprends pas toujours. Je sais qu’il pense à peu près ceci « je suis parti de chez vous à 20 ans, je ne vous dois rien (pas de financement d’études par exemple), je me suis « construit » seul, ne vous mêlez pas de ma vie, je ne me mêlerai pas de la vôtre ». Sauf que la vieillesse arrivant, nous risquons d’être sollicités et ce ne sera pas facile. Nous en sommes à penser « pourvu que son père parte en premier » … Une personne pénible ne s’améliore pas en vieillissant n’est-ce pas ?!
    La réflexion d’Absinthe est pile ce que je vis en ce moment : à peine fini avec les enfants, il faudra penser aux grands parents ! Et-quand-est-ce-qu’on-vit-nous ???

  6. Peut-on encore parler de société quand on décide de ne rien recevoir et de ne rien donner ? Nos relations ne sont-elles pas fondées sur des connexions, des équivalences et des solidarités. La preuve………..

  7. Pour Mère-grand, les choses sont à peu près calées et je crois que mon père a fait le nécessaire en ce qui le concerne ainsi que son épouse (l’utérus qui m’a porté).

    Je crois que j’ai pas mal de chance… :huh_tb:

  8. Il est 23h et je devrais coucher mes enfants (grands, je précise…pas la peine de m’envoyer la DDASS !!!). Et bien, je préfère me promener à roidetrefleLand et quel bonheur de te lire !!!
    Je suis remontée aux péripéties de ta grand-mère avec les concessions funéraires (hilarant !), l’histoire de ta famille et ses rapports avec sa belle-mère…etc…
    Une chose est sure…tu as peut-être une famille parfois « too much » (là, je ne sais pas pourquoi mais je sens Snooze de mon avis !) mais moi, je t’assure que pour avoir vécu le quotidien de centaines de familles françaises grâce à mon beau métier d’infirmière à domicile…dans ces familles-là, on ne s’ennuie jamais et c’est tant mieux parce que l’ennui, c’est mortel !!!
    Alors, tu vois à quoi tu échappes ??? Bon, là, j’ai l’impression que tu es « moyen-bof-d’accord » avec ma théorie de « super-positive-woman » !!!!
    Allez, finalement, je vais peut-être aller me coucher.
    Bon anniv’ à Mamie compét’ (c’est bientôt, non ???) de la part de la fille de la 1ère maman de Phobos, caressessss à Phobos et un méga-bisoussssss à toi (j’ai le droit, hein ??? Snooze va rien me dire ???)

  9. Ton post accompagne une grosse part de mes préoccupations actuelles, lesquelles mêlent la disparition en série de proches, la vieillesse aigre de parents que je ne vois plus, le souvenir de stages effectués en maison de retraite, et, au final, à l’instar de la fin de ton article, l’angoissante perspective de devoir mourir soi-même un jour ou l’autre…

  10. note pour moi même, ne pas laisser mon père vieillir, s’en débarrasser des les premiers signes. sans compter que d’ici la, les retraiter devrons certainement se payer eux même leur dialyse! :thumbdown_tb:

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