Et paf le chien

Je me souviens avoir récemment abordé le sujet de mon ami d’enfance François. Ses parents avaient émigré en France au tout début des années soixante-dix. Ils vivaient alors en Espagne, n’avaient pas une vie folichonne et espéraient, comme beaucoup à l’époque, que la France allaient devenir pour eux un nouvel Eldorado. Ses parents n’avaient pas débarqué seuls à Paris. Oncles, Tantes, frères et sœurs s’étaient installés ou avaient prévu de s’installer en France, dans le même immeuble situé à deux pas des Buttes Chaumont. Ils formaient donc une véritable mafia ibérique. Chacun vivait chez l’autre. J’adorais cette atmosphère qui tranchait avec celle un peu coincée qui régnait à la maison. Chez François, c’était toujours la fête du slip. On chantait, on parlait fort, on se chamaillait, on se parlait par la fenêtre, on criait, en espagnol, en Français, on ne s’ennuyait jamais. Tout était follement exotique pour moi (sans mauvais jeu de mots). Ses parents m’avaient un peu adopté. La réciproque était vraie car François m’accompagnait toujours lorsque je partais en vacances en province pendant l’année scolaire.

Ses parents formaient un couple très mal assorti. Physiquement, ils ressemblaient à Laurel et Hardy. C’était lui Laurel, c’était elle Hardy, c’était elle la grosse et lui le petit. N’ayant aucun diplôme ni qualification, sa mère faisait des ménages. Son père était peintre en bâtiment et travaillait comme sa femme, la plupart du temps sans être déclaré. Si lui restait adorable et modeste, elle jouait de son coté dans la catégorie castratrice bling bling. Petit à petit, le couple a réussi à amasser un bon pécule qui lui a permis de construire une maison en Galice (et pas en Galicie). Cette villa représentait leur fierté. Elle dominait le petit village, possédait tout le confort moderne contrairement aux autres habitations. Ils avaient également eu la bonne idée de creuser une piscine. Lorsqu’ils retournaient en Espagne, ils étaient les rois du pétrole et adoraient ça. Sa mère se pointait en manteau de renard, les doigts pleins de bagouzes clinquantes et la moumoute choucroutée, à la messe en plein mois d’août, fière de montrer à la populace les liasses de Pesetas qu’elle refilait au curé. Son père avait parfois un peu honte de sa mégère peu apprivoisée, et préférait rester à l’écart du spectacle dominical de sa femme, en sirotant un Schweppes au café du village. Il est vrai qu’elle était vraiment too much, et sarkozyste avant l’heure.

Il y a une vingtaine d’années, le couple a décidé d’investir dans un appartement situé dans le même immeuble que celui de ma mère. Ils souhaitaient quitter leur petit appartement pour s’établir dans un immeuble Haussmannien, nouveau symbole de leur ascension sociale. François avait lui aussi changé. Lorsqu’on l’interrogeait sur la profession de ses parents, il répondait que sa mère était femme au foyer et que son père était décorateur d’intérieur. Je n’ai jamais bien compris son attitude. Ils n’avaient cependant pas anticipé un problème de taille: la tante de mon père, qui vivait encore dans l’appartement qu’ils venaient d’acheter. Les premiers contacts furent houleux. Madame G débarqua chez ma grand-tante en lui expliquant que lorsqu’elle serait morte, ils avaient l’intention de transformer sa chambre en bureau et de faire une cuisine Américaine. La hache de guerre fut déterrée et la petite vieille décida de leur pourrir la vie en jouant un remake du film « Duplex ». Remontée comme un coucou, elle les mit dehors en leur expliquant qu’ils avaient fait un investissement peu judicieux. Ils avaient misé sur le mauvais cheval, qui comptait vivre encore de longues, très longues années, en leur versant un très modeste loyer issu de la fameuse loi de 1948. En résumé, ils allaient connaitre leur campagne de Russie et perdre beaucoup d’argent. La Bérézina était une bataille de pédés en comparaison.

Ma grand-tante s’accrochât à la vie et donc à son appartement. Ils ne purent donc accéder à leur bien qu’une douzaine d’années plus tard. François avait déjà quitté le domicile familial pour s’installer en Espagne, et ils avaient perdu l’envie de bâtir leur petit Versailles. Ils étaient surtout très fatigués, fatigués d’avoir travaillé toute leur vie comme des chiens, et de finalement ne pas en avoir profité, exception faite des périodes de congés estivales. Il ya quelques jours, ma mère m’informa que Monsieur G venait de mourir des suites d’une très longue maladie. Une vilaine leucémie avait été diagnostiquée quelques mois après leur installation. Il était parti dans d’atroces souffrances, laissant seule sa femme à Paris, sans aucune famille. François, en plein divorce, était remonté pour quelques jours à Paris pour l’enterrement et ramener la dépouille en Galice. Cette nouvelle m’a bien évidement attristé. Même si tout le monde passe par la case départ sans refaire un tour et toucher 20.000 Euros, je pense au pauvre bougre qui souhaitait lui aussi avoir sa place au soleil. Avoir travaillé presque tous les jours de la semaine pendant plus de quarante ans pour finir prématurément dans une petite urne, aussi jolie soit-elle, renforce mon envie de croquer la vie à pleines dents, sans forcement penser au lendemain (mais un peu quand même, hein, j’ai un Snooze à charge qui compte double). S’amuser et être heureux reste donc un placement judicieux.

Je ne sais pas si elle portait un manteau en Renard et des grosses bagues qui scintillent, ni combien elle a refilé au curé pour la dernière messe.

Comment dit-on vie de merde en espagnol? 8?

14 commentaires sur “Et paf le chien

  1. oui, encore eurent-ils la chance, avec deux petits salaires, de pouvoir accéder à la double propriété, ce qui n’arrivera certainement pas à nos nouveaux immigrés, pas même à beaucoup de nos enfants ! Les époques changent. Les anciens immigrés partaient de chez eux pour y revenir riches, les nouveaux immigrés se sauvent pour ne pas crever de faim.

  2. Un grand nombre de Français moyens n’ont jamais pu supporter que ces immigrés, non contents de venir manger leur pain, se construisent des châteaux en Espagne. Sinon Laurel ne portait pas de bagouzes, Hardy oui!

  3. Bah … juste envie de te citer mon « philosophe favori », Robin Williams et ses nombreuses addictions, dans « Le Cercle des poètes … » :
    « Je partis dans les bois car je voulais vivre sans me hâter, vivre intensément et sucer toute la moëlle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie, pour ne pas découvrir, au soir de la vieillesse, que je n’avais pas vécu… »
    Le monde est rempli de pauvres M. G en puissance, qui s’ignorent …

  4. Eh bien…. C’est gai. Je suis démoralisée. mais peut-être qu’au quotidien ils s’amusaient (non?).

    (A part ça, c’est quoi cette histoire de plaque? Ou c’est moi qui suis à côté? Enfin j’y suis, à côté, mais aide moi, je n’ai rien compris, viens me révéler la fonction première de la plaque dans le métro parisien…).

  5. (merci, et tu ne vas pas le croire, mais j’ai pensé à l’un de tes comm pour le post de tout de suite).
    (Après j’arrête de te faire la conversation sur ton blog, mais c’est parce que je ne pense pas que tu reviens voir si je te réponds, tu peux effacer mon comm, hein !!)

  6. @ BGS: Olé! :furious_tb:

    @ Sameplayer: Alors viva la vida :jittery_tb:

    @ Saperli: Oui, tu as raison, je pense que ce temps est révolu. Mais ils ont vraiment beaucoup travaillé, et non stop. :mad_tb:

    @ Calystee: C’est ce qu’il faut se dire tous les jours. :jittery_tb:

    @ MarcelD: Marcel one point. Je pense qu’inconsciament Madame G a souffert d’une certaine attitude méprisante à son arrivée en France, mais a reproduit un schéma quasi identique lorsqu’elle retournait en Espagne, contrairement à son mari. :happy_tb:

    @ Saa: Cui cui. :clap_tb:

    @ Manue: Sacré Robin Williams. :blush_tb:

    @ Ditom: Non, Séguéla a toujours raison. :king_tb:

    @ Fanette: Non, ils ne s’amusaient pas spécialement. :thumbdown_tb:

    @ Eric: Je n’avais pas pensé à Almodovar. Mais tu as raison, c’est un peu ça. :thumbup_tb:

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