No Future

Je suis tombé par hasard il y a quelques jours sur le film « Explorers ». Certes, le film a énormément vieilli. La pellicule sent maintenant le pipi, on devine le scénario un peu bâclé et la mise en scène approximative. Cependant, A l’époque de sa sortie il y a maintenant vingt cinq ans (ô râge, ô désespoir, ô vieillesse ennemie), Joe Dante surfait sur la vague des teen movies fantastiques qui pullulaient comme les mites dans mon placard à nourriture. L’intrigue est basique: Un groupe de trois pré adolescents arrive à produire une jolie bulle bleue qui leur permet de faire décoller un objet volant presque identifié construit à partir d’immondices trouvés chez un ferrailleur, et de rentrer en contact avec des extra-terrestres vraiment très sympathiques. Il faut dire que petit génie de la bande disposait d’une véritable arme de destruction massive: un Apple IIC pourvu d’un processeur à 1,4 Mhz et de 128 Ko de RAM. Dingue tout ça.

Je me souviens également d’un autre film, « War Games », où un autre ado est à deux doigts de déclencher la troisième guerre mondiale après avoir infiltré le système informatique militaire des Etats-Unis. Il y avait aussi à la même époque une série vraiment sympathique qui était diffusée sur Antenne 2 et qui mettait en scène des petits génie de l’informatique (« Les petits génies » ou « Whiz Kids ») qui se transformaient en Sherlock Holmes via leurs modems. Je n’ai raté aucun épisode.

J’étais moi aussi persuadé que j’allais devenir un petit génie. Tout était très simple. Si si. Il suffisait de vivre en banlieue de grande ville dans une grande maison avec jardin, de circuler à bicyclette, de porter au poignet une montre calculatrice et des baskets blanches à scratch aux pieds, d’avoir un garage bourré de fils électriques et de câbles, plusieurs écrans, des tas de machines capables de faire bip bip, des petites lumières rouges un peu partout, un clavier gigantesque, des parents peu présents, deux ou trois amis et surtout un combiné téléphonique. Pour se connecter au réseau, il suffisait de déposer le combiné sur un engin qui faisait tout plein de bruits bizarres comparables aux sons rigolos qui sortaient des ordinateurs au tout début d’internet (type touuu-tiiii-touuu zboing zboing crrrr).

La partie était un peu biaisée car j’habitais dans un appartement parisien, au sixième étage (avec vue sur la tour Eiffel, oui Madame), et si mes parents étaient peu présents (inexistants), j’étais bien loin d’avoir le matériel adéquat. Il faut dire que l’informatique me faisait vraiment fantasmer. J’étais un peu un geek avant l’heure: surpoids, peau grasse à problèmes, dentition approximative, très peu d’amis, et le nez toujours fixé sur un écran. Avoir un ordinateur était le rêve ultime. Deux machines me faisaient rêver: le ZX81 ( Commercialisé par Sinclair, et l’Oric Atmos (1 MHZ, 64 Ko de RAM) avec ses grosses touches rouges sur les côtés. Pas de chance. La télévision était considérée comme une machine barbare et il était hors de question que nous investissions dans un écran doté d’une prise péritel, prise indispensable pour connecter les bestioles.

A l’époque, tout le monde était excité par les ordinateurs. Or-di-na-teurs (on ne parlait pas vraiment d’informatique). Les or-di-na-teurs permettaient de tout faire. En théorie peut-être, en pratique certainement pas. Les politiciens souhaitaient même former tous les élèves en équipant massivement les écoles via le fabuleux plan informatique pour tous. le bonus était sensé être double en permettant notamment à Thomson, société étatique, de fourguer de vieux MO5 un peu pourraves. Il arriva ce qu’il devait arriver. Les enseignants n’étaient pas formés, les machines étaient obsolètes et le BASIC était chiant à mourir: un échec programmé. Sans compter sur l’arrivée du Minitel qui a flingué sans le vouloir ce fameux programme. Il était ainsi plus facile et concret de taper un 3615 code CUM que des pages de langage(s) très barbare(s).

Moi, je m’en moquais. J’avais facilement convaincu mes parents d’investir dans un Amstrad CPC 464 couleur doté d’un synthétiseur vocal (avec un vilain accent anglais) et d’un crayon optique. Je passais des heures à charger des cassettes et à recopier des lignes de programmation qui ne fonctionnaient jamais sans jamais rien comprendre, mais j’étais le roi du pétrole. Mon clavier fisher Price et mon écran tout naze me permettaient de rêver tout éveillé. Tout comme dans Explorers, War Games ou même Blade Runner, j’étais bien persuadé que le futur allait être formidable. Les voitures allaient voler, les ordinateurs et les robots allaient être indispensables, nous allions vivre dans des tours sans fin et faire du tourisme dans l’espace. Sans compter sur la construction de gigantesques villes sous-marines et la vitesse des avions qui permettraient de relier Paris à New-York en moins d’une heure. L’An 2000 était encore très loin pour l’enfant que j’étais, mais je pensais que tout allait être différent, en bien mieux. Forcement.

Lundi dernier, je suis descendu à Bort-les-Orgues, en Corrèze, pour rendre visite à ma grand-mère. J’ai mis huit longues heures porte à porte. En vingt ans, la SNCF a rationalisé son réseau. Les trains sont bien plus rares, presque inexistants, les gares ont été fermées, les wagons remplacés par des cars. Les principaux employeurs ont fermé boutique et la population a été divisée par deux. Les touristes se font de plus en plus rares. La plupart des habitants sont des retraités, tous les magasins ferment. Le flux de la Dordogne est toujours régulé par le barage. On ne capte toujours que trois chaînes de télévision à cause des montagnes. On circule toujours en voiture, à moto ou à vélo. A la maison, nous faisons toujours des siestes sous le cerisier et entendons toujours les cloches des vaches qui broutent l’herbe du pré voisin. Ma grand-mère n’a pas souscrit d’abonnement à Internet. Nous nous informons principalement en achetant « la Montagne » et un journal national le matin en faisant les courses.

Mais oui, l’iPhone 4 est maintenant disponible et Nathalie Kosciusko-Morizet est en charge de l’économie numérique. Nous sommes sauvés. Je ne sais vraiment pas à quoi rêvent les enfants d’aujourd’hui (et si tout comme nous à l’époque ils rêvent d’un autre monde), mais je suis prêt à parier qu’ils sont bien loin d’imaginer que la vie ne sera pas vraiment différente de celle d’aujourd’hui d’ici vingt petites années. C’est tout le mal que je leur souhaite, car pour moi, tout est bien différent. La vie semble bien plus dure, agressive et compliquée qu’au siècle dernier.

Mais ce n’est qu’une remarque à la con, d’un vieux con très très con.

14 commentaires sur “No Future

  1. Mon instituteur en CM1 avait fabriqué un vrai ordinateur sur une planche de bois d’arbre avec des fils de cuivre. (oui je suis beaucoup plus vieux que toi)
    Il fallait trouver les résultats d’opérations arithmétiques simples (l’ancêtre du captcha 3+1=?) et lorsque que tu enfonçais la bonne fiche dans le bon trou, la lumière verte s’allumait. C’était hallucinant !!
    Et moi aussi je rêvais d’un autre monde…

  2. Trop mignon, wargames: il suffisait d’un bête jeu débile pour saturer Joshua, l’ordi le plus évolué du monde. A présent c’est Facebouc, qu’on pirate. Rassure toi, à tous les âges il arrive qu’on rêve d’un autre monde. Ou alors, ce n’est pas rassurant?

  3. Ma grande soeur m’avait fait pleurer en prévoyant que j’aurai 41 ans en l’an 2000. Je refusais d’être si vieille justement une année où tout changerait. Et devine?… L’an 2000 a passé; j’ai bien eu 41 ans cette année-là et les voitures ne volent toujours pas!

  4. J’ai encore mon Commodore 64 avec lecteur de cassettes. J’essayai de pirater les jeux en copiant les cassetes des copains sur un lecteur/enregisteur audio, mais ça marchait rarement (Le P2P avant l’heure). Ah le jeu ou on faisait sauter des grenouilles sur un canal bourré de crocodiles. On y jouait des heures avec mes frangines.

  5. Eh oui lorsque ton arrière-grand-père en 1900 allait à Paris il ne mettait que 10H :clap_tb: et il avait un train direct depuis Bort-les Orgues comportant 3 classes et pour lui c’était un progrès énorme à comparer à la diligence qui mettait 10 jours et je crois qu’il a vu des se réaliser des choses insoupçonnables pour lui ( peut-on rêver de voitures en gardant des vaches et en ne connaissant que le cheval comme moyen de locomotion rapide :wub_tb:)

  6. Dans les villes de l’an 2000
    La vie sera bien plus facile
    On aura tous un numéro dans le dos
    Et une étoile sur la peau
    On suivra gaiement le troupeau
    Dans les villes de l’an 2000

  7. Ménonnnnn, ce n’est pas une remarque d’un vieux con, ex-ado en surcharge pondérale, à la peau grasse et à problèmes et à la dentition approximative (et à part ça, ça va ? C’était bien, Chicago ?), et heureusement encore ! Entre les deux personnes ci-dessus décrites, il y a toi, et tu le vaux bien 🙂

    Et sinon, à la campagne ou rien ne change hormis [barré]le poids de ma belle-sœur[/barré] la population qui tend à se raréfier, je me demande si mon honnête maman, qui a entamé sa 8ème décennie et souhaite se mettre à internet (elle ne connaît rien à l’informatique mais voit ses copines échanger des mails avec leurs petits enfants à l’autre bout du monde) a plutôt intérêt à opter pour un ordissimo comme ses-dites copines, ou si un i-pad ne ferait pas tout simplement l’affaire.

    Votre avis, Docteur ? Ergonomie interface compatibilité au contenu du réseau …

    Amicalement.

    Al.

  8. Le mot Amstrad évoque des souvenirs pour moi aussi mais je ne sais plus quoi ! ça fait du bien de temps en temps, malgré les longues heures de transports, de revoir une grand-mère et de se poser un peu………….

  9. Je crains que les pitchounes, maintenant, n’aient pas très envie de se projeter dans un monde de demain.

    Mais je trouve ça chouette qu’on puisse encore faire des siestes sous les vaches en écoutant les cloches des cerisiers, quand même.

  10. Les rapports entre les personnes, surtout au travail (on est mis en concurrence au lieu d’en équipe) sont certes devenus plus coupants, mais la vie quotidienne, internautique et domestique est vraiment plus légère qu’au siècle précédent. Tant de tâches qui prenaient tant de temps sont réduites à moins. Pour qui parvient à gagner sa vie disons moyennement (et effectivement, c’est peut-être ça qui est devenu plus dur à atteindre) le tous les jours est devenue plus facile. Et je ne parle même pas des déplacements.
    Aller à Londres en un coup de train ou à Bruxelles en moins de temps qu’à Gisur-Yvettes (en partant de Paris s’entend), c’est sans doute bête, mais ça me plaît bien.

    PS : J’adore comment trop tu fais bien le vieux modem téléphonique. :clap_tb:

  11. Dans les années 80 Dom m’avait entrainée au cours du fameux programme où l’on utilisait le TEO 7… :blink_tb:
    Nulle de nulle j’étais tout comme maintenant ou presque!
    Gamine je levais le nez pour suivre le vol des avions c’était fascinant :dunce_tb:, maintenant je m’émerveille d’une connexion avec Là-bas avec son et image :bye_tb: !
    Tout ne va pas bien c’est très vrai mais il y a encore du rêve possible,surement pas là où on l’imagination nous projette! :thumbup_tb:
    Tu verras quand tu auras mon âge à quel point j’avais raison ! :blink_tb:

  12. Ce soir, j ai vu sur une des nombreuses chaines cinema à ma disposition, « It’s a free world » de Ken Loach, ou les personnages n’arrêtent pas de dire « les temps changent… » pour justifier d’être individualistes, durs et d’exploiter les autres à tous les niveaux. Et dire que lorsque j’étais au collège j ‘attendais le dimanche soir tard pour regarder en VO des films sympas des cycles du cinéma de minuit sur FR3 en trouvant ça extraordinaire…et sans que mes parents s’en rendent compte. Aujourd’hui je ne prend plus autant de plaisir à découvrir un film à la télé…C’est moins magique, moins excitant. Juste pour Wargames, j’avais été fasciné par le film à l’époque. Je tiens à préciser à Flavien, qu’on faisait jouer à toute vitesse au super ordinateur, au morpion pour qu’il apprenne que la meilleure façon de ne pas perdre était de ne pas jouer.C’est à dire ne pas déclencher une guerre nucléaire avec les Soviétiques dont l’issue était la destruction de la Terre et donc perdre pour tout le monde! C’était un scénario plus subtile que de le faire buguer et à l’époque, simple écolier ca m’avait bien fait réfléchir…

  13. Houla, je me souviens parfaitement du film « War Game » que j’avais vu étant gamin. Je serais curieux de voir à quel point il a mal vieilli d’abord.
    C’était une drôle d’époque que celle des premier ordinateurs, entre TO7, MO5, CPC 6128 et autre Comodore. C’est là je crois qu’est née la « fracture numérique » entre nous, à l’époque curieux de ce nouveau monde auquel je ne comprenais pas grand chose, et nos parents qui ne voyaient souvent dans tous ces bidules modernes qu’une fantaisie pour enfants gâtés.

    Plus de vingt ans après, beaucoup de choses ont changé. Mais les fondamentaux restent, invariables : faire la sieste sous un arbre, le miel qui coule à travers les trous de la tartine, l’odeur du clafouti aux cerises de mami… des valeurs sûres. Et c’est tant mieux.

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