Mamie, tu es plus forte que Marion Cotillard dans Batman

Toujours le même coup de pied aux fesses pour descendre en Corrèze. Impossible d’y échapper cette année, ma mère et ma grand-mère se retrouvaient seules, coincées entre deux troupeaux de vaches. Je m’apprêtais à jouer au Père-Noël, ma valise chargée de cadeaux. J’avais même décidé d’ajouter une touche de gaité, en me parant de mes plus jolis t-shirts « Sesame Street ». Toujours le même rituel, près de huit heures de train et de car pour enfin arriver à Bort-les-Orgues. Parfait pour une veille de Noël.

Ma mère m’attendait dans la véranda. Mamie avait été une nouvelle fois hospitalisée. Nous sommes passés la voir. Elle a ouvert ses yeux, a esquissé un sourire, ma serré fort la main et s’est rendormie. Nous sommes rentrés à la maison. J’ai tenté de convaincre ma mère de jouer le jeu en lui proposant de décorer notre doux foyer. J’avais prévu le coup en glissant dans ma valise deux guirlandes électriques et des jolies boules de couleur. Nous avons retrouvé la vieille crèche et remonté un sapin du jardin. J’ai déposé les cadeaux à son pied. Contrairement aux boissons sans alcool, la fête n’est pas forcément plus folle à deux. Après un diner frugal, nous avons ainsi rejoint nos chambres respectives peu avant dix heures. Peut-être souhaitions nous inconsciemment ne pas déranger le père Noël.

Ce 25 décembre fut particulier. Nous nous sommes rendus une nouvelle fois à l’hôpital. Mamie dormait comme un bébé. Je l’ai serrée dans mes bras et me suis presque endormi à ses côtés. J’ai convaincu ma mère de faire une pause. Je souhaitais égoïstement rester seul en sa compagnie. Je lui ai caressé la joue, le front, l’ai embrassée et ai beaucoup pleuré. Je me suis résigné à la quitter en milieu d’après-midi. Nous sommes repassés une petite heure plus tard. Le personnel soignant n’avait rien à dire. La tristesse et la compassion se lisaient sur leurs visages. Mamie était morte et je le savais.

J’ai jusqu’ici eu beaucoup de chance. Jamais je n’ai réellement eu à me confronter à la mort d’un proche. Mamie avait fait fort en claquant un vingt-cinq décembre. Mon premier mort de Noël. Que faire? Comment faire? Qui contacter? Sans avoir eu le temps d’y penser, nous nous sommes retrouvés dans une spirale infernale. Quelques minutes après un dernier baiser, je me suis retrouvé au beau milieu d’une pièce remplie de cercueils et de fleurs artificielles. On me posait des questions, on me demandait de choisir une forme de cercueil, des poignées, une couleur de tissu, de dicter un message à publier dans le journal local, de choisir une robe, des chaussures. Je n’avais pas le droit d’être triste. Je devais me concentrer. Le croque-mort a proposé de nous ramener à la maison. Nous sommes restés plusieurs minutes, face à face, sans comprendre ce qu’il nous arrivait, sans pouvoir prononcer le moindre mot. Mamie n’était plus là. La famille avait encore rétréci. Nous étions seuls et elle nous manquait, terriblement.

Mamie était catholique. Nous nous sommes rendus au presbytère. Le curé était antipathique, tendance manifestation pour tous, odieux. Ma mère l’a appelé Monsieur sous le coup de l’émotion en le remerciant. Il lui a demandé sèchement de l’appeler mon Père. Il ne nous a rien demandé, posé aucune question. Il ne connaissait pas Mamie et s’en foutait. Il allait réciter un discours bien rodé et prendre cent trente euros, point. Une pute au service du bon Dieu. Le croque-mort nous a conduit une nouvelle fois dans son antre. Mamie avait été embaumée, maquillée. Ses joues avaient été gonflées, un chapelet dépassait de ses mains. Elle ressemblait à une cocotte. Ce n’était plus elle, je ne la reconnaissais pas. Elle était froide, terriblement froide.

Plus c’est long, plus c’est bon. Le jour de la cérémonie religieuse est enfin arrivé. Fermeture du cercueil, pose des scellés. Beaucoup de voisins avaient fait le déplacement. Ni ma mère ni moi ne pensions rester aussi longtemps. Nous n’avions rien de correct à nous mettre. J’étais déguisé en Teletubbie le jour des funérailles de ma Grand-Mère: Je portais un joli t-shirt Cookie Monster tout bleu, des chaussettes orange, écharpe verte, des Doc Martens rouges, une barbe d’une semaine. Ma mère n’avait trouvé qu’une vilaine paire d’après-ski, un pantalon trop grand. Le curé était détesté. Personne n’a rempli le petit panier d’osier pendant la quête. La messe était bâclée. A la sortie du corps, le curé a enfin souhaité s’exprimer, pour nous indiquer que dès le premier janvier, le tarif allait être augmenté de cinquante euros.

Comme déjà écrit ici, Mamie pensait depuis longtemps à son avenir proche, c’est à dire la mort. Elle devait initialement être enterrée à Madic en Auvergne aux côtés de Joseph, mon grand-père. Mais son mari a eu le malheur de souhaiter être enterré dans le même caveau que sa mère qui détestait ma grand-mère. Il était donc hors de question que ces deux femmes se retrouvent dans un espace aussi réduit. Elle a donc fait construire une nouvelle résidence mortuaire à Bort-les-Orgues, quelques kilomètres plus loin. Une fois la tombe construite, elle s’est aperçue que la tombe était située en plein nord (donc trop froide) et l’a revendue quelques mois plus tard. Simultanément, sa sœur lui avait fait construire un caveau en Seine et Marne qu’elle a également revendu. Il y a maintenant six ans, elle nous a fièrement présenté sa nouvelle acquisition, une jolie tombe en marbre gris, située entre celle de ses parents et celle de sa sœur. Le corbillard est donc passé nous chercher à quatre heures le lendemain matin. J’ai laissé ma mère s’asseoir à côté du conducteur. Je me suis retrouvé à l’arrière du véhicule, les fesses sur le cercueil.

Je suis rapidement tombé dans les bras de Morphée. Le corbillard a freiné brutalement. Je me suis retrouvé nageant dans les fleurs, une plaque en marbre me broyait un pied. Nous étions déjà dans l’Yonne. Quelques minutes plus tard, nous arrivions enfin au cimetière. Une branche éloignée de notre famille nous attendait. J’attendais de mon côté du réconfort. J’attendais un câlin. J’attendais que l’on me serre fort. Rien. On m’a tendu des mains molles et froides. S’embrasser entre hommes faisait certainement trop pédé. Le cercueil a été porté près de la tombe, puis soulevé afin de le glisser sous terre.

Le croque-mort a tendu une rose à ma mère. Je n’avais rien, sinon des petits cailloux ramassés dans le jardin, mais également un caramel chipé dans sa réserve. J’ai attendu que les gens quittent le cimetière et ai jeté le contenu de ma main. Mamie aura au moins quelque chose à se mettre sous la dent.

N’empêche,

Rolande L, 1912-2012. Classe, non?

Et merde, nous n’avons pas ouvert les cadeaux.

25 commentaires sur “Mamie, tu es plus forte que Marion Cotillard dans Batman

  1.  » Une pute au service du bon Dieu »

    Je te trouve très injuste…avec les putes,celles que j’ai côtoyé dans mon ancien métier,étaient sympas et humaines.

    Même si c’est tardif et virtuel,je te serre très fort dans mes bras.

  2. Je ne lis qu’aujourd’hui, toujours ces semaines d’hiver où en rentrant je m’endors (et le matin pas le temps, émerger, se préparer). Tu as beau raconter en mettant tout l’humour, le chagrin est profond. Je suis impressionnée (mais pas étonnée) de combien tu as tenu jusqu’au bout alors que c’était tout sauf simple (ce type de fin, et l’éloignement). Courage pour la période à venir. Je t’embrasse bien fort (m’en fous que ça fasse pédé, c’est l’avantage d’être une fille, hé !)

  3. Je ne te connais pas, mais j’apprécie de te lire depuis de nombreuses années. Je ne te connais pas, mais j’ai quand même l’impression de te connaître. Je ne te connais pas, mais j’ai envie de te prendre dans mes bras. Pour moi, c’était 15 jours avant Noël. Et ça donne 1915 – 2012, et c’est la classe aussi. Hugs & kisses

  4. Tu arrives à truithonner même ad patres !
    Bêtises mises à part, je t’envoie plein d’affectueuses pensées pour cette mamie qui te manque (désolée pour le commentaire qui peut paraître très en retard).
    Bises. Julie

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