Le capital canard

Je me suis certainement déjà attardé sur cette histoire lors d’un précédent billet, mais je trouve que c’est la façon la plus imagée et la plus simple pour parler du cancer. Lors d’un cours de biologie moléculaire il y a bien longtemps de cela, un enseignant tenta de nous dissuader de fumer en nous expliquant plus généralement que nous jouions à la roulette russe en grillant une cigarette. la vie était finalement très simple et l’organisme pouvait être comparé à un stand de fête foraine, le tabac étant représenté par un fusil à plomb, et la vie par les petits canards qui doivent être descendus pour gagner une horrible peluche hyperallergenique. Chaque fois que nous allumions une clope, nous tirions sur un canard. La vie étant particulièrement injuste, certains individus possédaient dès leur naissance mille canards, d’autres cinquante mille. Ainsi, à nombre comparable de cigarettes, certains développeraient un vilain cancer du poumon dès quarante ans, d’autres dès soixante, et enfin une infime partie de la population ne développerait jamais le moindre cancer. Et personne ne peut malheureusement prédire son capital canard.

On voit fleurir depuis quelques temps un grand nombre de livres consacrés au(x) lien(s) éventuels entre alimentation et le cancer. David Servan-Schreiber a été l’un des premiers à dégainer via un plan de communication global incluant publication papier, internet et télévision. Selon son ouvrage, il faudrait à la fois fortifier l’organisme via un sommeil réparateur décrit comme une défense naturelle anti-cancer, faire de l’exercice physique décrit comme préventif, ou encore renforcer le système immunitaire. En résumé, que du bon sens pour un individu globalement équilibré. Cependant, un lecteur crédule pourrait facilement penser que se gaver de légumes vert et ne consommer que des produits issus de l’agriculture biologique peut permettre d’éviter la maladie. Car on parle bien de prévention: Ainsi, sur le site peut-on lire qu’un composé présent dans les brocolis et les choux prévient le cancer en diminuant l’incidence, le nombre, la taille et la progression des tumeurs mammaires. On peut également lire que les vitamines A et E ainsi que le sélénium aurait des effets protecteurs/bénéfiques sur les cancers de l’estomac, côlo-rectal, poumon, sein et prostate. Tout ça tout ça.

Il faut avant tout rappeler que moins de 30 % des cancers sont liés à l’alimentation et que jusqu’à aujourd’hui, s’il est possible de dresser une liste d’aliments ou de préparations à éviter, aucune publication sérieuse n’a démontré le moindre effet anti-cancereux direct de certains aliments. Un peu comme la cigarette: Fumer représente un facteur de risque(s), ne pas fumer ne va jamais être un acte anti-cancéreux par lui même.

Les conclusions du livre écrit par David Khayat sont très intéressantes car elles tordent le cou à certaines croyances bien établies, notamment sur la consommation de viande rouge. Comme justement rappelé, il faut comparer ce qui est comparable. Les précédentes études étaient principalement basées sur les comportements alimentaires nord américains, qui privilégient principalement une viande rouge très grasse, surcuite, et consommée en quantités bien plus importantes qu’en Europe. Même conclusion pour les fameux cinq fruits et légumes consommés quotidiennement, les poissons riches en oméga 3, l’eau minérale en bouteille ou encore la consommation très modérée de vin. Le livre tombe malheureusement dans les mêmes travers que celui de David Servan-Schreiber, en listant des aliments supposés bénéfiques, comme le curcuma, le thé vert japonais, l’ail ou l’oignon. Khayat rappelle également que la tomate réduirait le risque de développer un cancer de la prostate et que les produits laitiers, après cinquante ans, augmenteraient à l’inverse ce risque de 30 %. Enfin, le jus d’orange serait un dangereux poison impliqué dans le développement de mélanomes malins. On va tous crever.

D’après Dominique Maraninchi, il faudrait attendre au moins vingt ans pour qu’une hygiène particulière modifie le métabolisme d’un individu. Ces vingt années sont également annoncées pour réduire considérablement les risques entre un non fumeur et un ex-fumeur. Un bémol toutefois: on entend tout et son contraire sur les aliments d’une saison à l’autre. Une année on déconseille les produits laitiers chez la femme et l’on préconise de les substituer par du soja, une autre on annonce que les laits de soja contiennent des hormones qui perturberaient l’équilibre hormonal des femmes et favoriseraient ainsi l’apparition de cancers hormono-dépendants. Même chose pour le poisson. S’il contient les fameux acides gras oméga 3, beaucoup d’espèces seraient contaminées par des métaux lourds cancérigènes. Enfin, la consommation de thé brûlant favoriserait le cancer de l’oesophage.

Le risque principal n’est donc pas de développer un cancer mais de devenir Schizophrène.

Je faisais hier soir la queue chez chez un marchand de café Suisse. Devant moi, deux femmes discutaient de certains aliments et du risque de développer un cancer. Leurs vies semblaient bien tristes. Elle ne paraissaient s’accorder aucun écart, ne prenaient aucun plaisir à manger et suivaient scrupuleusement les conseils de Servan-Schreiber. Totalement obsédées par leur alimentation mais également par leur poids, elles semblaient fanées avant l’heure.

Sans pour autant se taper des frites, une soupe d’huile, un kebab et un Brie à chaque repas, et si le principal était de manger le mieux et le plus sainement possible, en prenant beaucoup de plaisir, et surtout sans se poser trop de questions?

De mon côté, je suis bien capable de jouir en me tapant un très bon chocolat. :dunce_tb:

18 commentaires sur “Le capital canard

  1. Félicitations pour ce billet. Les recettes de vie éternelle que nous vendent les gourous ont surtout pour effet de rendre leur vie à eux plus confortable. Que des charlatans s’engraissent sur la crédulité humaine est vieux comme le monde. Le problème est que lorsque ces charlatans se parent de titres universitaires authentiques, il décrédibilisent la vraie science, comme la fausse.

  2. « Le capital canard » voilà qui se comprend.

    J’ai souvent eu l’impression que les livres à « recettes magiques » contre tel ou tel fléau étaient au mieux du bon sens listé (comme tu l’écris d’ailleurs) au pire des trucs à rendre la vie tellement terne et insipide si suivis à la lettre qu’ensuite on peut bien mourir du fléau fuit ou d’un de ses cousins, on ne s’en rendrait même pas compte.

    Peut-être que de nos jours la seule chose qui peut nous sauver est de manger varié et diversifié afin de ne pas ingérer toujours les mêmes produits toxiques (dans quoi n’y en a-t-il pas ?) et en répartissant d’aténuer leurs éventuels effets (?). Et puis de toutes façons ça ne nous empêchera pas, pour ceux qui étaient nés, de subir peut-être avant le moindre problème dû aux aliments, les conséquences de l’amiante du nuage de Tchernobyl croisé à la frontière au siècle dernier.

    Profitons de ce qui peut pendant qu’on y est – mais sans abuser -, et comptons (sur) nos canards.
    Merci pour ton billet.

  3. Cela me rappel la vieille histoire du patient qui demande à son médecin comment devenir centenaire.
    Il faut supprimer,l’alcool,le tabac,le sexe,le café,le thé,le chocolat,la nourriture trop riche,et se contenter d’un peu de riz et de quelques légumes cuits à l’eau sans assaisonnement.
    Et en suivant ses conseils,on est sûr de devenir centenaire?
    Non,mais on en a l’impression!

  4. Coin-coin ! 🙂

    Je ne me lancerai pas dans une diatribe sans nom, car chacun voit midi à sa porte et tous les modes de vies sont égaux tant qu’ils sont assumés et appréciés.

    Mais perso, comme de toute façon l’on doit un jour crever, qu’il vienne tôt ou tard, je préfère ce jour là pouvoir me dire que j’ai profité de la vie, plutôt que d’avoir des remords !

    Parce que si l’on suit toutes les recommandations, qui s’opposent et qui changent régulièrement, c’est pas une vie, c’est invivable !

  5. Mais avons-nous vraiment besoin de ces deux livres ? On sait bien quand même ce qui nous rend malades !
    Il s’agit encore d’un bon filon éditorial !

    Tu as raison, ne te prive surtout pas de chocolat !

  6. Selon la dernière enquête du Baromètre santé nutrition, dont les résultats ont été dévoilés en janvier dernier, 75,9 % des Français pensent manger équilibré alors que dans le même temps une proportion toujours croissante de la population est confrontée à des problèmes de sur-poids ou d’obésité. Cherchez l’erreur…

    Manger de tout sans trop se poser de questions ? Idéalement, oui ! Mais un manque de bon sens élémentaire et peut être aussi un manque de d’éducation alimentaire (j’comprends pas, j’ai mangé que des compotes, je devrais pas grossir, c’est des fruits ! Oui, mais additionnés de 50% de sucre baby…) me laisse penser que ce voeux ne sera pas immédiatement exaucé.

  7. Mondieu et moi qui me gave de tomates pour éviter le cancer de la prostate et durant un mois de papaye (oui je suis au Brésil) pour ne pas viellir me serais-je fourvoyé??
    Mais je n’oublie pas la caipirinha et la feijoada excellente bien qu’un peu roborative: haricots noirs et bas morceux du porc ( joue, queue, orilles pieds…)je crois que tu aimerais!!
    Mon cher roidetrefle avec u tel régime serais-je toujours jeune et beau? riche j’en arle pas c’est foutu

  8. D’autant.
    D’autant.
    Que ledit DSS (lui même!)a fait une vieille rechute de son cancer du cerveau pas plus tard qu’il y a trois ans, après avoir vendu des millions de livres.
    Alors bon hein, son petit déjeuner pas bon, il peut se le garder.

  9. Ha j’adore la conclusion de ton billet. « …et si le principal était de manger le mieux et le plus sainement possible, en prenant beaucoup de plaisir, et surtout sans se poser trop de questions?  »
    Moi je dis bravo et j’ajoute, manger avec les yeux pour se gaver de couleurs, manger avec le nez pour s’enivrer de fumets, manger assis (éteignez moi donc cette télé bordel de merde) et ne finissez pas votre assiette si vous n’avez plus faim, espèce de truithonneur! :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb:

  10. Ça fait au moins 15 ans que, sur les conseils de mon gynéco, je mange un yaourt au soja tous les matins. L’avenir dira si c’était efficace pour lutter contre les cancers dits féminins. Et moi aussi je fais une grosse consommation de chocolat!…

  11. Du temps de ma toute jeunesse, dans les années 70, il y avait noté sur emballages de « La Vie Claire », où ma mère faisait ses courses (eh oui j’ai été élevée dans le manger sain à tout prix), Variez vos poisons ! Mon père, médecin, trouvait que c’était judicieux comme définition de manger sain.

  12. Comme je le dis sans cesse à mes patients, la vie « est une maladie héréditaire à transmission sexuelle et à issue fatale ». Bon, cela dit, bien bouffer avec plaisir c’est faisable, le tabac je pense qu’on peut s’en passer (le tout est surtout de ne pas commencer), le Sexe, EN REVANCHE NON : PAS D’ABUS POSSIBLE (avec les précautions d’usage bien entendu).

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