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Ce week-end est mon week-end pensum de l’année. C’est tout du moins ce que je pense tous les ans avant de me rendre dans notre maison de Corrèze.
Départ prévu vendredi à 8h47. Arrivée en avance Gare de Lyon. Tous les quais sont rapidement évacués. Un colis suspect a été découvert. Les militaires, la police et le personnel de la SNCF bouclent la moitié de la gare. Les trains sont retardés. Arrive enfin le service de déminage. Un grand « boum » prend par surprise l’assistance. Les voyageurs peuvent enfin rejoindre leurs trains respectifs. Nous partons enfin.
Nevers : mon téléphone sonne. Delphine a essayé de me joindre à l’agence. Ma collègue lui a indiqué que je partais pour Bort. On se donne rendez-vous devant la gare de Clermont pendant ma correspondance. Je suis très heureux de pouvoir passer quelques minutes en sa compagnie. Elle me manque terriblement depuis qu’elle s’est installée en Auvergne. Je dois prendre le car de Mauriac. Moins de deux heures plus tard, je suis arrivé à la maison.

Ma mère est venue m’attendre à l’arrêt du car. Nous remontons quelques mètres et croisons un voisin qui nous propose de nous ramener en voiture. Nous acceptons avec grand plaisir. Il nous dépose devant la maison. Ma Grand-mère est assise à l’ombre du cerisier, une pile de journaux à ses pieds. Elle se lève et vient m’embrasser. Je trouve que le temps à, encore une fois, laissé des traces. Je suis très heureux de la revoir. Ma mère est halée et semble reposée. Phobos nous fait l’honneur de sa présence et vient nous rejoindre pour se faire caresser.

Je jette un coup d’œil à la maison. Rien n’a changé. Le temps ne semble pas avoir de prise. Les rosiers, les pivoines, les « oreilles de lapin », la lavande et les arbres sont toujours là. Je dépose mes affaires dans ma chambre avant de les rejoindre dans le jardin. Nous commençons à discuter de tout et de n’importe quoi. Je me sens bien en leur compagnie. Le soleil picote mon coup, le vent fait bouger les feuilles du cerisier.
Je commence à lire. Je termine « La joueuse de Go » et commence le sixième tome des aventures de Harry Potter. Je suis dans les bras de Morphée quelques minutes plus tard. Je suis réveillé par la queue de Phobos, qui commence un va-et-vient charmeur autour de moi. La machine à ronrons a démarré.
En fin d’après-midi, Maman me convainc d’aller se promener en ville. Nous longeons la Dordogne. La montagne est belle. Les forêts sont encore vertes. Le soleil apporte ses reflets dorés avant de se coucher.
Nous dînons de bonne heure. Je connais toutes les nouvelles du pays. Une amie vient nous voir et nous continuons à discuter. Maman et Mamie partent se promener. J’en profite pour continuer à lire mon livre.
Je me couche de très bonne heure. La maison garde la même odeur. Je retrouve des vieux « Mickey » et autres Super Picsou Géant. Je tombe même sur des « Strange » et des « Titan ».

Le lendemain, nous partons de bonne heure pour le marché. Ma grand-mère me force à prendre un pull. Les matinées en montagne sont fraîches. Nous rencontrons des amis et voisins. J’ai le droit, comme tous les ans à « oh, qu’est-ce qu’il est grand », « je me souviens bien de lui à la maternelle », « il ressemble à son grand-père ».
Lorsque cela chauffait entre mes parents au milieu des années 70, j’ai été exporté en Corrèze chez mes grands-parents maternels. On avait alors prétexté des difficultés à respirer. La montagne, c’est mieux que la ville. J’ai été scolarisé une année en maternelle. Je me souviens avec grand bonheur de ces moments. J’étais bien loin des problèmes que mes parents affrontaient. Je ne me suis rendu compte de rien. Je trouvais alors normal d’être élevé par mes grand-parents. Le matin, mon grand-père, Papi Jo, affûtait la lame de son rasoir. Je prenais mon petit-déjeuner et courrais attraper le car qui me conduisait à l’école. Je rentrais manger le midi.
Je me souviens de certains moments. Ainsi avais-je vu un reportage sur les petits Ethiopiens sur la première chaîne de télévision (nous avions une vieille télévision Schneider en noir et blanc et ne captions que la première chaîne). La famine faisait alors rage et le narrateur avait expliqué que les enfants étaient tous rachitiques. Je ne connaissais qu’un garçon de couleur à Bort. Il était dans ma classe et j’étais vraiment triste. Je le croyais rachitique lui aussi.
Je me souviens également de ma belle balançoire rouge, des moments passés dans le jardin avec Adémar, notre chien, des Noëls, des odeurs, de la fête foraine qui s’installait place Marmontel à Pâques et à partir du premier dimanche de septembre. Il y avait un manège nommé Kiki la Palousse. Je devais attraper une peluche pour gagner un tour gratuit. Je pense aussi avec beaucoup de nostalgie à notre ancienne maison de Madic, ou nous allions rendre visite à Mémé minet, la mère de mon grand-père. C’était une vraie Auvergnate. Toute vêtue de noir, les cheveux argentés tirés en chignon. Elle parlait en patois. Des gens comme elle n’existent plus. Ce monde n’existe plus.
La ville était alors prospère. Le barrage, les tanneries, une entreprise de confection et le grand hôpital permettaient aux habitants d’être à l’abris du chômage. Il y avait beaucoup de tourisme. Il devenait difficile de se loger en été. Tous semblaient heureux d’habiter la ville.
La crise est passée, les entreprises ont fermé. Il ne reste plus rien. La population diminue et les habitants ne sont plus accueillants. Les touristes ont eux aussi quitté la région. Seule la maison de retraite est prospère.
Ma grand-mère a toujours refusé de quitter sa maison. C’est sa vie. A 93 ans, elle continue ses occupations. Elle aime ses fleurs, son jardin. Elle aime somnoler sous ses arbres et faire sa marche quotidienne (son secret), même si son corps a de plus en plus de mal à suivre. Et puis il y a le souvenir de Papi, parti trop vite il y a presque trente ans. Elle passe beaucoup de temps à lire. Elle a arrêté de faire du vélo il y a quelques années, ce n’était plus prudent. Je l’aime. Elle m’a élevé, elle est comme ma Maman.

L’après-midi passe doucement. Maman a retrouvé des « Bonnes soirées » datant des années 50 et 60. Je jette un coup d’œil à ces revues d’un autre temps. Je replonge moi aussi dans de vieilles revues. Je retrouve mes jouets, mes peluches, et tous mes souvenirs reviennent. Je suis triste que le temps soit passé si vite. J’ai l’impression de ne pas avoir assez profité des gens et des instants passés ici. Longtemps, je me suis couché de bonne heure, écrivait-il alors. C’est mon cas ici.

Je pars de bonne heure ce matin et écris ce post dans le train. J’ai pris bien sagement mon car pour Clermont. Maman et mamie étaient tristes de me voir partir. Moi aussi. Aujourd’hui était l’anniversaire de Maman : elle a déjà 69 ans, elle est toujours aussi belle. Je monte dans le train et pense à appeler Delphine lorsque je passe Riom. Je suis en route vers Paris, le cœur serré de ne pas être resté plus longtemps dans ma madeleine corrézienne. Je me fais la promesse d’y retourner le plus tôt possible et de passer plus de temps l’année prochaine.

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