Madeleine

Dimanche après-midi, j’ai pensé à elle. Il faisait beau, j’ai regardé le ciel. Elle est partie le 11 mars dernier. Elle est tombée derrière sa porte. Elle se rendait à Paris. Elle était seule. Elle est morte d’un coup. Elle n’a pas souffert. Elle n’avait plus de famille.
Quelques jours avant, le téléphone a sonné. C’était elle. Je n’ai pas décroché. Je ne souhaitais pas passer des heures avec elle à parler littérature, cinéma, opéra ou politique. Je n’avais pas le temps.
Madeleine était une amie de ma mère. Elle portait les marques de sa vie sur son visage. Elle fumait des longues cigarettes. Sa voix était grave. Elle était fantaisiste et joyeuse. Elle avait été traquée pendant la guerre. La petite juive rousse se cachait dans les caves à Paris avec sa famille. Sa mère et sa sœur étaient mortes lorsqu’elle était jeune. Son père est parti il y a une dizaine d’années. Elle m’a fait découvrir l’opéra. Nous assistions aussi à des récitals. Je me souviens d’une représentation de Kathleen Battle à Bastille. Nous aimions beaucoup cette soprano. Elle chantait alors du Bach,

« Vergnügen und lust
Gedeihen und Heil
Wird wachsen und stärken und laben »

Le plaisir et la joie. C’était tellement beau que je me suis mis à pleurer. Je ne pouvais pas m’arrêter. Je voyais les larmes couler sur mon pull en laine. Des larmes de bonheur et de plaisir. Elle a tourné sa tête vers la droite et m’a souri. Elle pleurait aussi. Nous passions souvent des soirées tous les deux. Nous refaisions le monde. Je conservais comme elle les journaux. Nous étions boulimiques d’information.

Je pense souvent à elle. Pourquoi n’ai-je pas décroché ce putain de téléphone.

Je ne lui ai jamais dit à quel point je l’aimais.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *