Et la crise, bordel

[Pour Samantdi^^]

La fin du monde est proche, les chiffres le montrent.

Au premier trimestre de cette année, la dette publique de notre pays a augmenté de près de 50 milliards d’euros pour atteindre 1985 milliards. Cette dette correspond à 93.6% du produit intérieur brut. Trente points au dessus des limites. La France est en pleine crise, nous allons tous crever.

Tout cela est effrayant.

Certainement.

Oui mais.

Ai-je toutefois abusé de substances hallucinogènes lors de ces quarante dernières années où avons-nous déjà traversé une période sans crise depuis les années soixante-dix ? Je suis né au début des années 70. Premiers déficits commerciaux, début d’inflation. La France reste aveugle, encore anesthésiée par les trente glorieuses. Le chômage est presque inexistant. La gestion du pays est hasardeuse. C’est pourtant le début de la fin avec l’apparition de la mondialisation des marchés financiers. Le coup de grâce est donné avec la guerre du kippour et l’embargo pétrolier. L’énergie commence à coûter cher. On commence à entendre qu’en France, s’il n’y a pas de pétrole, il y a des idées.  C’est faux, il n’y a pas d’idées en France. Mon grand-père maternel stocke des dizaines de kilogrammes de sucre.

Merde, tout le monde porte des sous-pulls électrostatiques en nylon. Ma mère quitte mon père. Jacques Chirac quitte Giscard. Nous quittons la bourgeoisie de province. La France est impactée par un second choc pétrolier. Tout est gris. Mon père achète une télévision en couleur. Ma mère achète une télévision en noir et blanc. Mon grand-père maternel meurt. Sa mère meurt. Mes grands-parents paternels meurent. Nous attendons dix-huit mois pour obtenir une ligne téléphonique. Tout est cher. Ma mère prend un second travail de nuit. L’inflation grimpe à 11%, le chômage à 5%. Tout le monde parle de guerre thermonucléaire. J’ai très peur.

Mille neuf cent quatre-vingt. Nous fêtons dix années de crise(s) sociales, politiques et économiques.

Mille neuf cent quatre-vingt-un. Mitterrand est porté au pouvoir. La coalition de gauche est utopiste. Les socialistes et les communistes sont inexpérimentés. On nationalise. Tout va vite. Abolition de la peine de mort, remboursement de l’IVG, cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans. Le chômage est à 7%, l’inflation à 12. Les radios sont libres. Le gouvernement Mauroy 1 cède la place au gouvernement Mauroy 2, qui cède la place au gouvernement Mauroy 3. Je suis nul à l’école. Je redouble ma cinquième. La gauche est mécontente. La droite est mécontente.

On commence à parler du front national, du SIDA. Fabius est nommé premier ministre. L’école libre est dans la rue. Je suis gros. Deux nouvelles chaines font leur apparition, la cinq de Berlusconi et TV6 de Publicis. Jacques Chirac est nommé premier ministre. Le pays est paralysé par la cohabitation. Neuf pourcent de chômeurs. On privatise Paribas, Saint-Gobain, Suez, Havas, Société Générale. TF1 est confiée à Bouygues. La dette publique passe la barre des 20 % du PIB. La cinq passe à Hersant, TV6 devient M6. François Mitterrand est réélu face à Jacques Chirac. Rocard est flingué. Crise en Nouvelle Calédonie. Accord de Matignon. Mitterrand souhaite faire capoter la réunification allemande. Le chômage ne baisse pas. La France célèbre le bicentenaire de la révolution. Paris devient le centre du monde. C’est pourtant le déclin. Le bloc soviétique explose. Berlin est libre. Ceausescu est fusillé. J’ai mon Bac.

Mille neuf cent quatre-vingt-dix. Nous fêtons vingt années de crise(s) sociales, politiques et économiques.

On parle d’une guerre au Koweït. Je ne suis plus gros. Edith Cresson est nommée premier ministre. J’adore Nirvana. J’adore U2. Les anglais sont des pédés, les japonais des fourmis. Financement occulte du parti socialiste. Boris Eltsine est élu président de Russie. Bill Clinton se fait sucer. Je reçois un premier salaire de 5013 Francs en juillet 1990. Je tombe amoureux pour la première fois. Je mets ma langue dans la bouche de Anne-Claire. J’ai le cœur qui bat très fort. Les patients meurent du cancer, du SIDA. J’ai trouvé ma voie. On signe le traité de Maastricht. Bérégovoy se tire une balle. La dette publique atteint 35% du PIB. Le taux de chômage est à 11%. La crise étouffe le pays.

Le sang est contaminé. Le Rwanda subit un génocide. Le Rwanda, c’est loin. Je suis nul à la fac. Je couche pour la première fois avec Snooze. J’ai le cœur qui bat. Je m’envole pour New-York. Je m’envole pour Montréal. Je m’envole pour New-York, encore. Je m’envole pour Montréal, encore. C’est la crise à l’université. Je vote pour la première fois aux présidentielles. Je vote Jacques Chirac. François Mitterrand meurt d’un cancer de la prostate. La gestion du pays par Juppé est catastrophique. Tout n’est que mépris. La France est bloquée pendant des mois. L’hiver 1995-1996 est rude. Tout est compliqué. La CSG est créée. Je suis bac plus 4. Je suis bac plus 5. Je ne suis plus nul à la fac. Je suis major et je vous emmerde. Des bombes atomiques explosent toujours dans le pacifique. Le front national grimpe avec le chômage et la dette, l’assemblée nationale est dissoute. Jospin est nommé. Nous gagnons la coupe du monde. Chiral ne fait rien. Chirac ne sert à rien. On vote le PACS, on travaille dorénavant 35 heures par semaine. Je gagne 6123,50 Francs par mois. Je loue un appartement de 28 mètres carrés dans le 12ème arrondissement. Je m’envole pour New-York. Je m’envole pour Montréal.

Deux-mille. Nous fêtons trente années de crise(s) sociales, politiques et économiques.

Le passage au nouvel an est triste. Je travaille enfin. Je suis sous-payé. Je suis à New-York. Je rentre. New-York est en feu. Chirac fait un hold-up sur la présidentielle en focalisant le débat sur l’insécurité. Le front national est au deuxième tour. Nous manifestons tous. La dette est à 45% du PIB. L’inflation est maitrisée. Je suis à New-York. Seul. Je m’ennuie. Je suis bac plus 8. Je signe mon premier CDI. On laisse mourir les vieux l’été . La France est désindustrialisée. Aucune réforme n’est engagée. On parle d’armes de destruction massive et de guerre.

Grèves dans la fonction publique. Emeutes dans les banlieues. La dette franchit les 1000 milliards d’euros. On parle de contrat première embauche. Les conflits sociaux se succèdent. Je m’envole pour la Chine. Une fois, deux fois, trois fois. Je déteste Shanghai. J’adore Shanghai. Je blogue. Nicolas Sarkozy est élu président de la république. La dette et le chômage grimpent. On parle de rois fainéants, de bouclier fiscal. J’achète mon appartement. Je suis bac plus 13. Je suis bac plus 14. Je suis au Japon avec Lily. Je suis en Inde avec Sébastien. Crise économique, crise sociale, crise identitaire, des pédés sont brûlés. Crise financière. Le déficit public s’envole. La politique est vulgaire. On annonce des réformes mais rien n’est fait. La crise est responsable de tous les maux.

Deux-mille-dix. Nous fêtons quarante années de crise(s) sociales, politiques et économiques.

François Hollande est élu. Tout est immobile, ou presque. On se marie. On divorce. On s’exile en Belgique. Je m’ennuie. Je suis triste. Je suis heureux.

Deux-mille-vingt. Nous fêterons cinquante années de crise(s) sociales, politiques et économiques.

Champagne

7 commentaires sur “Et la crise, bordel

  1. Je n’aurais pas su mieux dire :clap_tb:
    On se retrouve 10 ans plus tard pour voir le chemin parcouru ?? (non, non, je n’ai pas écouté P. Bruel avant ce commentaire :happy_tb:)

  2. Que c’est bien résumé (pour la part du pays, le reste, je ne saurais dire  ). Tiens, je ne me souvenais plus que Mitterrand était opposé à la réunification de l’Allemagne – en revanche je me souviens fort bien de l’été qui avait précédé la chute du mur avec tous les gens qui le contournaient par d’autres pays ; et ces illusions que les petites familles en Trabant avaient sur la vie à l’Ouest, pire que moi 20 ans plus tard en amour sur mon Grand Belge -.

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