Souvenirs, souvenirs

« Jusqu’à l’âge de seize ans, je ne savais pas qui était mon père ».

Cette phrase, issue d’un billet récent de Samantdi, m’a fait brusquement penser au mien. Nous sommes en période de vœux et je m’attends à recevoir un courrier de sa part, courrier qui va finir comme tous les autres, à la poubelle sans être ouvert.

De mon côté, j’ai toujours su qui était mon père. Un fils choyé par ses parents bourgeois. Un enfant gâté qui n’a toujours pensé qu’à lui même. Un homme qui a toujours fui ses responsabilités. Un père qui n’a jamais souhaité avoir d’enfant. Un père qui n’était vraiment pas prêt pour en avoir.

Mon père a perdu ses parents à la fin des années 70. A leur mort, il a emménagé dans leur maison au cœur de la Bourgogne. Il ne s’était jamais éloigné d’eux. Le cordon ombilical n’a jamais été coupé. Sa mère avait tout fait pour l’attirer près d’elle. Mes parents étaient séparés depuis quelques années déjà.

Il venait nous voir tous les quinze jours à Paris. Il arrivait le samedi vers 13h00 et repartait en fin d’après-midi le dimanche. Il prenait soit le train, soit sa voiture.
Ces week-ends étaient pénibles pour moi. L’ambiance était tendue et je m’ennuyais. Nous allions toujours au cinéma. Il choisissait les films, toujours en fonction de ses goûts, pas des miens. Difficile de distraire un enfant de moins de dix ans. Maman était triste. Il disait qu’il revenait pour moi. Il venait pour lui et pour se donner bonne conscience. Il montait également sur paris pour rencontrer ses amis. A l’époque, j’étais triste pour lui. Il me disait qu’il vivait seul, qu’il passait son temps à travailler et que sa vie était sans saveur. Je n’avais aucune raison de douter de lui. Si j’avais su.

Je passais les vacances de la Toussaint et de février chez lui. La moitié des vacances de Noël et d’été aussi. Il ne prenait jamais de congés. Je restais seul dans la grande maison. J’avais peur et je m’enfermais. Il partait de très bonne heure et rentrait tard. J’étais souvent endormi à son retour. Il passait son temps à me montrer son carnet de rendez-vous, comme s’il souhaitait justifier ses absences. J’ai compris plus tard, un peu tard, qu’il passait les débuts de soirées chez ma future belle-mère.

Elle possédait un appartement secondaire dans la ville la plus proche du village ou nous habitions. Elle y retournait lorsque je débarquais chez lui. Le reste du temps, ils habitaient ensemble. Mes parents ont divorcé après mes 18 ans. Juste après le divorce, il m’a présenté M. Il m’avait prévenu dans la voiture. Elle s’était installée à la maison. Lorsque je suis entré, elle était dans la cuisine :

Moi : Bonjour Madame (en lui tendant la main)

Elle : Bonjour Alexandre, ton père m’a beaucoup parlé de toi.

Lui : Mais enfin Alexandre, tu peux l’embrasser. Elle te connaît depuis ta naissance. Elle t’a même fait sauter sur ses genoux.

Moi (in petto) Un peu gonflé de dire ça en me présentant sa maîtresse officielle depuis près de 15 ans.

J’ai toujours voulu la vouvoyer. Cela laissait une distance entre elle et moi.

Quelques jours plus tard, elle avait invité sa famille à déjeuner. Elle sortait heureusement pour elle du lot. Dans la famille Tenardier, elle s’en était le mieux sorti. Sa mère était omniprésente.

Elle (en fin de repas, et sans aucune raison) : Nous savons tous qu’il faut se protéger, cela se passe toujours de la même façon. Le parent meurt et l’on met le beau-parent dehors. Cela ne se passera pas comme ça pour moi, j’ai déjà tout prévu.

Merci de me prévenir. Ma relation avec elle fut toujours difficile et conflictuelle. Elle commença à transformer ma chambre en lingerie.

Elle : garder cette pièce en chambre ne sert à rien. Tu viens si rarement.

Si je n’aimais pas quelque chose en particulier, je pouvais être certain de le retrouver dans mon assiette. Si j’avais le malheur de dire que j’aimais quelque chose dans la maison, cette chose disparaissait rapidement. Toutes mes photos ont été vite remplacées par celles de ses neveux et nièces. Mon père évitait de s’en mêler. Elle pouvait me sortir les pires horreurs, il restait muet. Finalement, il passait l’année entière avec elle. Pas avec moi. Mais il ne l’aimait pas. Je me souviens d’une soirée en particulier. M était dans la cuisine. Nous étions loin d’elle, à l’opposé, dans le petit salon. Soudain, mon père me lança:

Tu ne crois pas que nous pourrions être heureux ici, toi et ta maman?

J’étais sur le cul. Il avait toujours des sentiments pour ma mère. M n’était qu’une potiche. En rentrant sur Paris, j’évitais d’aborder le sujet « belle-maman » avec ma mère, qui, même si elle n’éprouvait plus rien depuis longtemps pour mon père, avait du mal à digérer que M s’installe avec lui.

Ma mère : Tout de même Mickey, me tromper avec un top-model passe encore, mais avec un boudin, je n’arrive vraiment pas à le comprendre. Il doit vraiment l’avoir dans la peau.

Je ne savais pas s’il l’avait dans la peau. Je savais qu’il était égoïste et que s’il partageait sa vie avec elle, c’était surtout par peur de vieillir seul, et pour l’hygiène.
Quelques mois plus tard, mon père m’annonça qu’il souhaitait épouser M et me demanda d’être son témoin. La situation fut fort embarrassante. Si j’acceptais, j’approuvais leur union, je cautionnais l’arrivée de M. Si je refusais, je passais pour un fils ingrat. La seconde option m’a semblé la plus appropriée. Mon père a tout mis sur le dos de ma mère. Il pensait qu’elle m’avait empêché de me rendre au mariage. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’elle n’était même pas au courant.

Ce manège a perduré encore quelques années. Tous les ans, j’appelais en première mon père pour lui annoncer en premier :

Papa, j’ai eu ma licence. Papa, j’ai eu ma maîtrise, Papa, j’ai eu mon DEA. J’ai obtenu une allocation de trois ans pour faire mon doctorat. Seule réponse : Ah oui, c’est bien. Mais quand vas-tu enfin travailler ? Ce qu’il voulait dire en réalité c’était mais quand vais-je enfin arrêter de verser une pension alimentaire ? Tous les étés, il me posait la même question: Mais que fais-tu à la faculté? Je tentais de trouver les mots les plus simples pour lui décrire mon cursus. Cela ne servait à rien. Il allait tout oublier et me reposer la même question d’ici quelques mois.

En décembre 1999, après avoir passé un séjour fort peu agréable, j’ai dit à M ses quatre vérités sous le regard de mon père, totalement passif, une fois de plus. Je lui ai ensuite demandé de me raccompagner illico à la gare la plus proche. Depuis, je ne donne plus de nouvelles. Et franchement, oh putain, je suis heureux d’avoir pris cette décision. Je ne me suis jamais senti aussi bien. Seul regret : avoir pris autant de temps pour couper les ponts.

De son côté, il essaye de renouer avec moi depuis environ deux ans. Par lâcheté, j’ai changé de numéro de téléphone. Je n’ai plus envie de l’affronter. Il m’envoie une lettre en début d’année et pour mon anniversaire. C’est amusant. Il ne me souhaitait jamais mon anniversaire avant.

Le rituel est toujours le même.

Je prends la lettre.

Je la déchire.

Je la balance au fond d’une poubelle.

Pour moi, il n’existe plus. C’est terminé.

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