Juliette ou l’attaque de l’opéra Bastille par l’immonde flan radioactif mutant

Journée de vendredi très agitée. Merdes au boulot. On me colle une réunion entre 18h00 et 19h00. Je me casse finalement juste après comme un voleur. 19h45 : arrêt de l’alimentation électrique sur la ligne 1. Tous les trains sont bloqués pendant un petit quart d’heure. Arrivée à 19h58. Pas le temps de déposer nos manteaux au vestiaire. Achat express du livret. Direction troisième étage. Ce soir, nous testons les places à 9 euros (achetées lors de la prise de la bastille il y a moins d’un mois). Nous allons voir « Juliette ou la clé des songes », de Bohuslav Martinu, dans une mise en scène de Richard Jones. C’est la version originale de Martinu qui est présentée. Cette version, en français, a été récemment retrouvée et publiée. Le compositeur, bien que né en Bohème, a écrit une partie de son œuvre à Paris. L’opéra, joué pour la première fois en mars 1938 à l’opéra de Prague, est adapté de la pièce du même nom de Georges Neveux (voyage de Thésée, plainte contre inconnu, mais également scénariste de la série télévisée Vidocq). La pièce sera librement adaptée une seconde fois, au cinéma, par Marcel Carné.

Le rideau s’ouvre : Michel est commis voyageur. Il se trouve un jour dans une ville côtière du sud de la France. Il entend par une fenêtre une voix féminine chanter une chanson d’amour. S’approchant, il aperçoit une ravissante jeune fille. De retour à Paris, il est hanté par ce souvenir. Trois ans plus tard, il part à la recherche de la jeune femme.
Il se retrouve sur la place du village. Il questionne des passants. Manque de bol, tous les habitants semblent avoir perdu la mémoire. Ils ne vivent que dans le présent et semblent hypnotisés par les souvenirs. Ils finissent par désigner Michel Capitaine de la ville. On lui remet un insigne et une arme.
La belle jeune fille fait son apparition. Elle se prénomme Juliette. Elle donne rendez-vous à Michel dans la forêt. Fin du premier acte.

Entre temps, c’est la panique à l’opéra. La main de Dieu écrase des spectateurs à l’orchestre. On crie, les gens tentent de s’enfuir, mais trop tard, le mal est fait. Les ambulances arrivent trop tard. De nombreux fauteuils sont désormais disponibles à l’orchestre.

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Le rideau s’ouvre à nouveau, les lumières s’éteignent. C’est le début du deuxième acte. Michel part à sa rencontre et tombe sur des personnages très farfelus. Juliette arrive enfin, suivie d’un marchand de souvenirs qui vend des objets permettant aux acheteurs de se fabriquer l’existence de leur choix. Il leur propose des photos de lieux que Juliette affirme avoir visité en compagnie de Michel. Michel ne se souvient pas de ces voyages. Juliette est troublée et s’enfuit. Michel veut la retenir et finit par tirer un coup de feu en sa direction.
Le coup de feu alerte les habitants qui accourent et accusent Michel de meurtre. Ils souhaitent le pendre, mais très vite oublient la raison de leur venue. On est très proche de « land of the dead ». En même temps, c’est un rêve, tout peut arriver.
Michel se retrouve sur le port. Il demande à deux marins d’aller chercher (le corps de) Juliette. Ils ne reviennent qu’avec un châle.
Déprimé, il prend un bateau pour repartir, mais se retrouve au bureau central des rêves. Les lumières se rallument. Un tube de colle géant tente d’exterminer une nouvelle fois des spectateurs à l’orchestre et au deuxième balcon. Arrive ensuite un ver vert glouton. La glue radioactive disparaît pour laisser place à un flan mutant qui terrorise une fois de plus les pauvres amateurs d’art trop lyrique. Une odeur d’œuf se répand dans la salle. Non, ce n’est pas le flan mais mon voisin qui termine sa digestion. Le rideau s’ouvre à nouveau. Il y a de moins en moins de monde à l’orchestre et au deuxième balcon. Le troisième acte peut débuter.

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Michel est au bureau central des rêves. Il succombe à nouveau au charme de la voix de Juliette et l’histoire recommence, car un trop long séjour dans l’univers des rêves rend tout retour impossible.

N’ayant que peu d’éducation musicale, ce genre d’opéra me semble, à première vue, bien moins accessible que d’autres un peu plus lyriques. Assister à ce genre de représentation demande un minimum de préparation. Les codes sont différents. Les musiques se mélangent. D’un côté, une musique moderne semblant symboliser la perte de mémoire, l’égarement ou même la folie, et de l’autre une musique classicisante tentant de représenter l’ordre et la raison. Entre les deux, servant de relais de l’une à l’autre, des rengaines de musique populaire. Les thèmes musicaux ne sont pas connus. (il y a peu de chances de retrouver la musique de Juliette en fond de publicité pour des serviettes hygiénique, on laisse ça à Verdi). Le chant classique laisse la place au chant populaire et au parlé. C’est assez troublant et déroutant.

Michel : Je crois…que c’est un petit canard mécanique, un jouet qui tournait autour et qui faisait coin coin ! …/…
Un canard ! Un jouet ! Qui courait ! En rond !
Qui faisait coin, coin ! Coin, coin !

Le commissaire : Qui faisait coin, coin ! Vous ne l’avez pas oublié ?

Les autres et le cœur : Coin, coin ! Coin, coin !

Mais Juliette semble être plus qu’un vulgaire exercice de style. L’opéra, dans son ensemble, est très agréable à écouter. J’ai passé beaucoup de temps les yeux fermés. Même si les voix étaient le plus souvent couvertes par l’orchestre, l’opéra s’entendait intelligiblement en français et permettait de se dispenser totalement des surtitres. Cependant, la mise en scène était austère, lugubre et froide. Les couleurs étaient quasiment inexistantes. J’avais l’impression de vivre la suite de la mort de Dante Lazarescu. On était plongé en permanence dans un cauchemar en noir et blanc, dans la folie d’un homme à la recherche de l’amour. Je ne suis pas un spécialiste de la spécialité, mais Juliette méritait certainement mieux. Nous avons résisté. Ce ne fut pas le cas de tout le monde. Une partie non négligeable des spectateurs avait déserté à la fin du second acte, et pas seulement par peur du flan mutant.

5 commentaires sur “Juliette ou l’attaque de l’opéra Bastille par l’immonde flan radioactif mutant

  1. pour ton samedi tu aurais pu m’accompagner pour 4.48 PSYCHOSE de Sarah Kane

    pour clore la trilogie sur le mal-etre d’une femme au bord du suicide… (l’auteur s’etant vraiment suicide apres avoir fini la piece)…

    un lit blanc devant un mur blanc et une femme (en blanc) qui dit des choses aussi joyeuses que « je prie seulement pour la mort soit reellement le terminus » 🙂

    mais sinon c’etait tres bien…

  2. C’est un peu triste, cet auditorium un peu vide… Je ne connaissais rien a cet opera avant hier soir, mais je suis tombe sous le charme : la poesie du livret (belle idee que celle de decrire les fous comme ceux qui ont trouve le bonheur dans une forme de reve permanent, vous ne trouvez pas ?), la musique envoutante (le solo de piano vers le debut du deuxieme acte)… et, surtout, une mise en scene qui, contrairement a vous, m’a fait completement craquer. Vous n’avez pas aime le piano qui derive au fond de la foret ? ou la main qui traverse la porte de l’armoire (du vendeur de souvenirs) pour en tourner la cle depuis l’interieur ? Mon compte-rendu ici : http://blog.parisbroadway.com/2006/02/juliette_ou_la_.html

  3. Hello Laurent,

    Je ne mets pas en cause la poesie du livret ni la musique. J’ecris tout simplement que je n’etais pas prepare, meme si j’avais deja ecoute Juliette en version tcheque. Je n’ai pas du tout accroche avec la mise en scene, mais ce n’est finalement que tres personnel et subjectif. Quant au flan mutant, j’ai vraiment eu peur!

    Et en plus, cela m’a donne l’occasion de connaitre votre blog! :))

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