Faut pas pousser Mamie dans les orties

Ma grand-mère qui est accessoirement une vedette internationale de variété monte tous les ans à Paris pour passer les fêtes de fin d’année en notre compagnie. Elle profite également de son passage dans la capitale pour faire la tournée des amis encore vivants et saints d’esprits. Mais voila, au bout de quelques semaines, elle ne tient plus en place.
Elle ne supporte plus la vie en appartement et ne pense qu’à une seule chose : rentrer chez elle afin de retrouver ses amis et de s’occuper de son jardin. Elle considère son retour comme une véritable libération. Même si elle ne veut pas l’avouer, c’est également un soulagement pour ma mère qui supporte difficilement son hyperactivité.
Les deux femmes s‘aiment profondément et sont très complices mais leurs modes de vie sont radicalement différents. Le matin, mamie se lève de très bonne heure, part faire un tour et remonte juste avant le déjeuner. Elle passe son après-midi à lire, mais arrête tout vers 18h00. Elle allume alors la télévision et rentre en communion avec le chaman Julien Lepers et son indéboulonnable « Question pour un champion ». Commençant à être sourde, tout l’immeuble profite ainsi de l’émission de télévision. Un vrai bonheur pour le tympan des voisins. Nous lui avons pourtant acheté un casque il y a peu de temps. En vain. L’instrument salvateur perturberait selon elle sa mise en plis :happy_tb: .

Vendredi dernier était enfin le jour du grand retour à Bort les Orgues. Elle s’y était préparée depuis le début de la semaine. Elle avait réalisé ses dernières emplettes et était passée chez le coiffeur. Elle était prête. Maman allait l’accompagner jusqu’en Corrèze à son grand dam car elle ne supporte pas d’être considérée comme une personne assistée. Laisser une personne de 95 balais rejoindre le trou du cul du monde (la Corrèze) seule n’était pas envisageable. Elle le savait bien, mais râle toujours par principe. Un peu comme lorsque l’on lui offre un cadeau :

«Maaaiis non, ce n’est vraiment pas raisonnable, à mon âge, je n’ai vraiment besoin de rien. Vous êtes fous. Marithéééé, dis quelque chose voyons »

Direction la Gare de Lyon. Première déception. Les places réservées n’étaient pas situées dans un compartiment mais dans un wagon classique. Elle ne pourrait donc pas s’adresser aussi facilement à son pauvre voisin victime et passer son temps à bavarder pendant les quatre heures de trajet :blink_tb: . Maman avait pourtant essayé de penser à tout pour que le voyage soit le plus agréable possible. Elle lui avait acheté ses caramels durs « Werthers Original », le journal du jour, « Notre Temps » et son fascicule de mots fléchés.
Quelques minutes avant d’arriver sur Clermont-Ferrand, le train s’est brusquement arrêté. D’après l’annonce, l’interruption était due à un léger problème technique. L’information commençait à circuler. Un animal était certainement passé sous les roues de la locomotive.

La voiture de ma mère et de ma grand-mère était arrêtée au niveau d’un passage à niveau. Un attroupement commençait à se former tout près de la voie. Des pompiers ont demandé à la foule de se dissiper et une ambulance est arrivée, suivie d’autres voitures. Aucun animal n’était passé sous le train. Une personne avait décidé de mettre fin à ses jours. Elle avait parfaitement réussi. Deux heures après l’arrêt du train, des agents ont commencé à ramasser les morceaux extirpables de cadavre. Un ballet macabre de sacs noirs en plastique s’est formé entre la voie et les voitures stationnées. Maman a tenté de masquer la scène à ma grand-mère. En vain.

La seule chose que ma grand-mère a dit en voyant le spectacle fut :

« Ouhlala c’est fou ça. Je ne savais pas qu’il fallait autant de sacs pour ramasser les restes d’un corps. Marithééé, passe moi mes lunettes tu veux bien. »

Coup de fil de ma mère le lendemain matin. « Tu sais Mickey, les personnes âgées réagissent bizarrement face à la mort. Moi, de mon côté, le suicide de cette pauvre personne m’a véritablement traumatisé ».

Constatation étrange et amusante de la part d’une personne âgée de 70 ans qui a passé sa vie à travailler dans les hôpitaux de l’assistance publique et à donc côtoyé presque quotidiennement la mort pendant plus de 40 ans.

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