Humour un peu noir et conseil d’ami

La copropriété réserve toujours son lot de bonnes et mauvaises surprises. Beaucoup de mauvaises surprises proviennent de l’état général de notre immeuble, construit pendant la révolution française, donc tout vieux, tout pourri et à risque. Les marches de l’escalier sont parfois inclinées à vingt degrés et les fissures font légion. Le second bâtiment situé dans la cour était initialement une écurie, transformée, loi de l’immobilier et appât du gain oblige, en un petit immeuble habitable d’un étage, puis de deux. Les fondations n’ayant pas été pensées pour soutenir un tel poids et la proximité du canal aidant, le bâtiment, tel la tour de Pise, se dirige dangereusement, mais heureusement, dans le sens inverse du notre. Cette dernière réflexion est certainement très égoïste, mais la copropriété est capable de faire ressortir, même au plus généreux et calme des hommes, un instinct de survie des plus sauvages. Survie ou pas, nous devons régulièrement régler des frais d’avocat exorbitants pour régler cet épineux problème. Je connais depuis par cœur le mythe du tonneau des Danaïdes (rien à voir avec le vagin de ma belle mère).

Epaisseur des murs aidant, nous ne sommes généralement pas dérangés par nos voisins, ni par le bruit, ni par les odeurs, mêmes si parfois un relent de tabac froid envahit notre entrée. J’ai longtemps mis cette odeur sur le compte d’un voisin habitant les étages supérieurs, descendant ou montant l’escalier la clope au bec. J’étais également profondément énervé par le manque de respect de ce fameux voisin fumeur qui n’hésitait pas a disperser ses cendres et écraser ses mégots à notre étage, et notamment au cœur de la monstroplante que j’avais installée près de ma porte d’entrée. J’avais ainsi adopté il y a quelques années un tout petit aloès vraiment rikiki qui avait fait des petits et s’était transformé en gigantesque plante grasse qui pique (un peu comme ma grande tante Alice). Mon crétin de voisin fumeur s’amusait donc quotidiennement à la flinguer en lui faisant absorber des doses homéopathiques de nicotine et de goudron. Mais qui pouvait être aussi pervers et cruel? J’ai initialement pensé au Monsieur-Dame du quatrième qui se vengeait de Snooze, mais je me trompais.

C’est en rentrant très tard un soir de débauche que j’ai trouvé mon voisin d’en face en caleçon et t-shirt, sexy sexy, le cul en arrière, chaussons fourrés d’acrylique rose, en train de fumer sur le pallier tout en consultant son courrier électronique et buvant un verre. L’image était surprenante et follement exotique car son allure générale est celle d’un accro des salles de sport, extrêmement baraqué, sentant le pédé à plein nez même si purement hétérosexuel. Le gros bâtard avait ainsi délocalisé son bureau pour éviter de sentir les odeurs de cigarette chez lui et se servait de mon splendide aloès comme cendrier. Sur le coup, je n’ai pas osé m’adresser au petit choupinou et lui faire la moindre remarque (la bête me fait un peu peur, la circonférence de ses bras dépassant celle de mes cuisses). Je l’ai encore croisé la semaine dernière en compagnie de Snooze et ai enfin osé lui demander s’il était bien l’exterminateur de plante, tout en prenant un air navré. Je lui ai ainsi expliqué, en toute amitié, les yeux bien humides, la voix tremblotante, que je travaillais dans l’univers du cancer, que je côtoyais de nombreux malades, mais qu’avant tout mon père venait de mourir dans d’atroces souffrances dans mes bras d’un cancer du poumon et que sa disparition m’était encore très douloureuse. Je m’inquiétais donc pour sa santé et espérait vivement qu’il n’allait pas infliger une telle épreuve à son enfant. Snooze m’a regardé en faisant de gros yeux. Il est vrai que techniquement mon père n’était pas mort. En même temps, l’ayant rayé de ma vie, autant qu’il me serve à quelque chose (le Snooze n’aime pas quand je me comporte comme cela). Mon voisin, fort gêné, m’a promis qu’il n’allait plus fumer sur le pallier et surtout demandé de lui faire parvenir toute documentation qui pourrait l’aider à se passer de nicotine.

J’avais déjà testé cette technique à deux reprise. La première fois, une connasse me crachait sa fumée en pleine tronche un matin de très bonne heure sur la ligne 13. La seconde fois, un voyageur ne pouvait s’empêcher d’en griller une, puis deux, puis trois à la sortie d’un vol transatlantique en attendant ses bagages. En résumé, le mensonge est tellement gros que la cible ne peut que se sentir gênée et platement s’excuser. C’est finalement pour la bonne cause, un peu comme une publicité choc contre le tabac.

Depuis, mon aloès est radieux et mon entrée sent le frais.

roidetrefle, un point. roidetrefle, one point. :bye_tb:

21 commentaires sur “Humour un peu noir et conseil d’ami

  1. Je n’aurais pas fait mieux ! :clap_tb:
    Dis tu ne veux pas venir habiter dans notre immeuble, hein dis ?!
    Parce que je suis sûr que tu trouverais une bonne excuse pour que notre « très charmante » voisine arrête de faire du bruit en plein milieu de la nuit :mad_tb: (style risque d’éclatement de ses tympans, etc…)

  2. Sa santé tu t’en fous il est bien assez grand pour s’en soucier, mais ton aloès je comprends ta réaction !
    Je n’ai absolument aucune difficulté à t’imaginer l’oeil mouillé, la mine triste lui racontant tes bobards !
    Et un César d’honneur pour Mister roidetrefle, un !

  3. je vois tout à fait ton air et imagine très bien ton petit sourire de vainqueur lorsque tu as refermé la porte derrière toi!!!
    c’est comme ça qu’on t’aime :thumbup_tb:

  4. C’est énorme à tout moment quand la journée est pourri au boulot, un ptit tour sur roidetrefle.com et hop ça va mieux, et difficile d’expliquer pourquoi on est tout sourire alors que 5 minutes avant on faisait la gueule.

    Merci, d’avoir une vie si mouvementée et de la narrer d’une très jolie façon :clap_tb:

  5. > Fab : « subito homo », n’y aurait-il pas une place, entre la béatification et canonisation, pour une homosition ? Ce serait très pride, je trouve (d’ailleurs, cela me renvoie à une docu sur une marque de phoques dit « moines », que j’ai vu hier dans l’poste ; j’ai appris à cette occasion que les phoques étaient des pinipèdes. Tout cela me laisse songeur).

    > Condre : hé, ho, la belle-mère ! :laugh_tb:

  6. GENIAL ! Moi l’immeuble est cossu et haussmanien et tout et tout et le connard hétéro fumeur qui descend les escaliers (SEUL fumeur de l’immeuble !) est au second. Tu veux venir faire un stage ?

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