Le roi des pédales

Il y a un an de cela, j’ai pris une grande décision. Je me suis dit in petto en moi-même, Alex, mon fils, tu es grand maintenant. Affranchis-toi une fois pour toutes définitivement de cette maudite régie autonome des transports parisiens et surtout de cette affreuse ligne 13, ligne ayant un taux de charge record de 116 %, soit plus de 4 personnes au mètre carré aux heures de pointe. Je partais déjà travailler en vélo de mars à octobre, mais avais toujours recours aux transports en commun pendant la période hivernale. Je m’étais aperçu que ma vie était radicalement différente depuis que j’enfourchais mon vaillant destrier le matin à la fraîche. Les cheveux au vent, la croupe dignement projetée vers l’arrière, je pédalais au rythme des meilleurs titres pop du moment. Un peu dangereux, oui, surtout à Paris. Mais comme le dit la chanson, si je meurs demain, c’est que tel était mon destin. Je tiens bien moins à la vie qu’à mon terrible engin. Quand je sens en chemin, les trépidations de ma machine, il me monte des désirs, dans le creux de mes reins. Crao crao, je suis tellement sauvage à vélo.

J’emprunte le métro depuis le collège et je fais partie de ces parisiens ultra-stressés qui passent leur temps à courir dans les couloirs des stations de correspondance. Je n’ai jamais compris pourquoi je courrais car on ne m’a jamais imposé le moindre horaire dans ma vie professionnelle. Le vélo me permet donc de mettre la pédale douce et de canaliser mon énergie. Car de l’énergie, il m’en faut tous les jours. Je prends la piste cyclable qui relie la place de la République à Barbès-Rochechouart, me tape les pentes du 18ème arrondissement, arrive enfin porte de Saint-ouen pour m’envoler vers une contrée provinciale (toute ville située à l’extérieur du périphérique, n’étant ni une capitale, ne commençant pas par un P, et ne terminant pas par un S). Je n’ai pas envisagé une autre option car je n’ai jamais passé mon permis de conduire, ayant toujours habité au pied d’une station de taxi, d’une station de métro et d’une station de bus. Handicapé du bulbe je suis, handicapé du bulbe je resterai. La petite reine a enfin un impact non négligeable sur mon bilan carbone, me permettant ainsi de ne pas culpabiliser lorsque je prends un bain. Et ils sont nombreux dans la semaine. Ma bobo attitude est pleinement assumée sur le sujet.

Le premier bilan est quadruplement positif (il parait qu’il faut prononcer le plus possible le mot positif en ces temps de crise). Outre le stress en moins et la joie de vivre en plus, le vélo me permet de faire plus d’une heure de sport par jour et de posséder les cuisses et le cul les plus fermes du dixième arrondissement. Le vélo me permet également de ne plus me mélanger ni d’être compressé à la foule du matin et du soir, à son hygiène parfois douteuse, et à la quantité incroyable de virus, champignons et bactéries largement véhiculés dans les rames. Résultat: je ne suis pas tombé une seule fois malade en un an. Enfin, j’ai presque diminué par deux le temps que je consacrais à me rendre à mon travail. Il n’y a bien entendu pas que des avantages à ne circuler qu’en bicyclette. Ainsi faut-il vraiment être motivé pour pédaler sous la pluie, à moins cinq degrés, ou plus récemment sous la neige. Il faut également réduire sa consommation de livres et de quotidiens nationaux, mais augmenter sa consommation de gel ultra-fixant, le vent étant souvent responsable de coiffures déstructurées improbables.

Cette expérience m’a permis (et me permet toujours) de développer un langage très fleuri et de muscler mon majeur droit. Je passe mon temps à faire des doigts et à insulter les automobilistes qui se comportent le plus souvent comme des crétins inconscients. Cependant, je me suis rendu compte qu’il y avait pire que l’automobiliste ou le motard: le cycliste. Beaucoup de cyclistes pensent qu’ils ont le droit (divin) de s’affranchir des règles dictées par le code de la route, de prendre les pistes dans le mauvais sens ou d’insulter sans raison aucune les piétons innocents. Une espèce de cycliste est particulièrement irritante. Celle représentée par les glands qui roulent très lentement, bloquant ainsi la piste, qui portent un casque et un costume d’éboueur fluorescent, un bip bip rouge clignotant à chaque poignet, des coudières et des genouillères, trimbalant accessoirement un mouflet à l’arrière, mais ne respectent jamais les feux ni la signalisation, prenant systématiquement beaucoup de risques à chaque carrefour ou chaque intersection de routes. Les mères de famille qui prennent les pistes cyclables pour des pistes spécialement conçues pour les poussettes et insultent les cyclistes qui roulent sur leurs pistes sont également les reines des casse-couilles.

Enfin, et c’est certainement navrant, on se rend facilement compte que le parisien ou le banlieusard lambda est tendu comme un string dans sa voiture. J’ai naturellement traité mardi dernier de crétin un automobiliste qui m’avait fait une vilaine queue de poison qui aurait pu se révéler très dangereuse pour moi. L’automobiliste m’a bloqué le passage, à ouvert sa porte et m’a traité de fils de pute et d’enculé de ma race. Le gros libidineux qui me faisait face ne se doutait certainement pas qu’il faisait preuve d’une double discrimination. La situation était en ma défaveur (très grand, très gros et à l’air très méchant), m’interdisant toute touche d’humour ou de provocation. Enculé. Comme je peux entendre ce vilain mot (ça dépend) des dizaines de fois par jour.

Dans le Marais, d’accord. Porte de Saint-Ouen, je proteste vivement! :bye_tb:

14 commentaires sur “Le roi des pédales

  1. Oh my God ! Je vais arrêter de porter un casque, un costume d’éboueur fluorescent, et un bip bip rouge clignotant. Ca ne se fait plus du tout ? C’est ça ? Les modes changent tellement vite, c’est compliqué de suivre. Enfin, c’est bien noté, merci.

  2. Moi qui suis un automobiliste de naissance je pense, je remarque que quelque soit le moyen de locomotion, on a tous les mêmes réactions envers ses congénères.Même les cyclistes s’engueulent entre eux et même lorsque l’on est piéton on rale contre ceux qui n’avancent pas assez vite dans les couloirs du métro ou des bandes de potes qui discutent en plein milieu d’un trottoir…
    Moi je dis vivement la téléportation.

  3. « développer un langage très fleuri et de muscler mon majeur droit. »
    Tu sais, il n’y a pas qu’en vélo qu’on peut s’entrainer comme ça :clap_tb:
    En voiture aussi… Mais là, l’opération risque d’être plus délicate :mad_tb:

  4. Il y a Poitiers comme capitale, aussi. Joli, Poitiers…

    About crisis (what crisis ?), le second effet positif, c’est la multiplicité des joueurs de musique dans la rue. C’est sympa, ça, aussi :thumbdown_tb:

  5. Les rares fois où je vais à Paris, le premier jour je trainasse dans les couloirs du métro, et au bout de quelque temps je m’aperçois que je vais aussi vite que les parisiens. C’est quoi cette maladie? Dites docteur?

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