Scoumoune et cas de conscience

Le long week-end pascal commençait vraiment bien. Amis, glande, sport, culture, peinture, tuture, le clou étant le concert réalisé au profit de l’UNICEF. Le programme étant plus qu’alléchant car il s’agissait ni plus ni moins du récital d’un trio composé de Natalie Dessay, Laurent Naouri et Stéphane Degout (et son gros bazar dixit une source bien informée qui souhaite garder l’anonymat). Snooze et moi même avons passé deux heures intenses dans la peau de Statler et Waldorf, les deux vieux Muppets au balcon. Nous étions nombreux à être tendus comme des strings. Natalie Dessay avait la voix voilée et certains passages furent douloureux. Cependant, et égale à elle même, la soprano a tout déchiré et nous a notamment offert une Violetta Valery divine, et a interprété avec beaucoup de finesse et d’humour l’air du cour-la-reine et gavottte de Manon. Oui, Natalie, elle est vraiment bonne. Fin des bons côtés du week-end.

Pour le reste, la terre a tremblé trois fois, nous avons subi une invasion de sauterelles, mon chat est tombé malade et une troupe de joyeux bricoleurs, armée de pinces et de scies, a fait un raid dans la cour de notre immeuble, emportant accessoirement mon nouveau vélo après avoir scié une partie de l’ancien. Huile de soja sur le wok, notre voisine du premier a fait flamber sa cuisine, mettant sa vie en danger, celle de ses deux enfants et de ses gentils voisins. Cette famille chinoise habite dans le second bâtiment de notre copropriété. L’immeuble semble maudit. Quelques mois après avoir acheté leurs appartements et certainement contracté un très long emprunt, les deux jeunes couples du deuxième ont appris que l’immeuble s’effondrait, et qu’ils allaient devoir l’évacuer. L’ensemble a depuis été mis en sécurité en attendant les conclusions des experts de l’expertise spécialistes en spécialité. A l’origine, le bâtiment était une écurie en rez-de-chaussée. Il y a plus de cent ans, les propriétaires ont fait construire un premier étage, puis un second. Les années et les fuites d’eau à répétition passant, la charpente a commencé par s’affaisser jusqu’à ne plus pouvoir supporter le poids des étages ajoutés.

Le couple de chinois est problématique. Le mari est absent et la femme passe son temps à hurler sur ses deux petites filles, âgées de moins de deux et de trois ans. Ces enfants s’ennuient. Lorsqu’elles ne jouent pas à l’équilibriste sur le rebord de la fenêtre du salon, elles jouent dans la cour et passent beaucoup de temps dans le petit local contenant des toilettes à la turque. La plus petite adore y tremper son biberon et lèche tout ce qu’elle peut y trouver. Son visage est recouvert d’éruptions maculo-papuleuses. Si par malheur la porte cochère est ouverte, les deux enfants sortent de l’immeuble et partent à la découverte du quartier. La plus petite, qui commence à peine à marcher, est considérée comme un boulet par la plus grande qui se fait une joie de l’abandonner au beau milieu des passants et de la circulation. Lorsque je passe dans la cour pour récupérer mon vélo (passait est maintenant plus exact), les deux petites poussent des cris et tendent les bras. Elles grimpent dangereusement sur le rebord de la fenêtre. J’essaye de leur faire signe en leur demandant de descendre, mais j’ai toujours peur qu’elles comprennent que je leur demande de sauter. Paf, grosse mare de sang sur les pavés, l’horreur.

Côté hygiène et sécurité, c’est Bagdad. Le couple cuisine et se chauffe en utilisant deux grosses bombonnes de gaz. Les eaux usées ne sont pas évacuées via un évier ou les toilettes, mais sont directement jetées par la fenêtre. Il arriva ce qui devait arriver. La plaque de cuisson a mis le feu à la cuisine. Les pompiers et la police ont débarqué. La famille a été évacuée et toutes les vitres de l’immeuble ont été brisées. L’appartement était un véritable capharnaüm. Les tuyaux de gaz étaient périmés depuis des années, et une quantité incroyable de nourriture était stockée dans la baignoire. Nous avons ainsi appris que la mère des deux filles alimentait le traiteur chinois de la rue voisine. Bon appétit bien sûr. Les propriétaires présents pendant l’incendie se sont fait tirer les oreilles par les pompiers. D’après eux, la copropriété était constituée d’un immeuble de sales bobos égoïstes qui ne pensaient qu’à leur petit confort, et d’un autre immeuble habité par des familles en situations plus précaires. Lorsque des personnes vivent dans un tel état d’insalubrité, les autorités compétentes doivent immédiatement être contactées et des mesures doivent rapidement être prises. Il serait donc inutile de faire de l’anti-sarkozysme primaire en refusant de dénoncer ses voisins. Telle fut la bonne parole des soldats du feu. Amen.

Emmerdé le roidetrefle. Entre voir une famille flamber ou des enfants se perdre dans la rue ou encore tomber par une fenêtre et contacter DDASS ou police pour suspicion de danger potentiel, en ne connaissant rien de la vie, du fonctionnement ou des problèmes de ce couple (tout en prenant accessoirement le risque de voir débarquer les services de l’immigration), l’écart me semble grand. Je n’aurais jamais été capable d’agir de la sorte et ne pense pas que le rôle d’un policier ou d’un pompier soit de se transformer en grand inquisiteur. Je me sens, comme l’ensemble de la copropriété, coupable mais pas responsable de ne pas avoir veillé sur cette famille. Mais qu’aurions nous pu/du faire? Rentrer par force dans leur appartement et inspecter les locaux? Passer notre temps à les sermonner? Leur kidnapper leurs filles (j’avoue que l’idée m’a traversée la tête)? Pas certain d’avoir la solution au problème.

Nous sommes maintenant plusieurs à veiller sur ces enfants. Je n’hésiterai maintenant plus à frapper à leur porte et à leur demander si tout se passe bien.

En attendant, nous leur avons confisqué leurs deux bouteilles de gaz et avons décidé de ne plus rien acheter chez le traiteur asiatique voisin. :clap_tb:

C’est déjà un début, non ?

15 commentaires sur “Scoumoune et cas de conscience

  1. Et comme je te comprends!… Vécu ce genre de situation à Mayotte. Mais de quel droit s’immiscer ainsi chez les voisins? Les gosses sont sales?… Et?… Oui, mais, quand il arrive quelque chose, on se dit que peut-être, on aurait dû….
    Autre chose: peux-tu dire à Benjamin de Favières que j’aimais beaucoup son blog, que je trouvais élégant et poétique? merci roidetrefle! et des bisous à la guimauve en prime!

  2. Le week-end avait bien commencé. Comme toi, j’ai été stressée tout le long du concert, peur pour Nathalie Dessay, mais en même temps quelle joie !

    Ah ces pauvres petits enfants ! Mais maintenant les services sociaux peuvent eux aussi assurer une petite surveillance ? C’est vraiment délicat comme situation, dénoncer ses voisins sans savoir… Tu ne pouvais pas deviner…

  3. @ Saa: La guimauve est couverte de bisous. :bye_tb:

    @ Saperli: C’est la fête aux nems! :furious_tb:

    @ mich: Phobos ne va vraiment pas bien tu sais. :thumbdown_tb:

    @ Fauvette: Ils ont ré-emménagé en tentant de récupérer les bonbonnes de gaz. :devil_tb:

    @ Saa: Merci à toi. :jittery_tb:

    @ MarcelD: Oui, mon mari. :king_tb:

    @ Chickenbaby: Ce sont juste la mère et la tante. :clap_tb:

  4. Décidément, votre immeuble est pourri. Je paie 500 € la location de mon appart’ (un 65 m² plein sud)(je sais, c’est nul à quarante berges) mais je m’épargne en soucis ce que vous dépensez en tracas (je me comprends ^^).
    Ah oui, j’oubliais : nous avons des voisins d’une discrétion et d’une tenue remarquables (et ce n’est pas compté dans le loyer).
    Blague à part, je serais terrorisé à l’idée de me sentir responsable de gosses à deux doigts de quotidiennement se défenestrer, de brûler vif ou de se faire renversé sitôt le porche franchi. Comme toi j’aurais la conscience entre deux chaises :thumbdown_tb:

  5. difficile débat entre le respect de la vie privée et l’assistance à personne en danger ! car à vrai dire le matin où j’ai vu jouer des enfants sur l’appui de fenêtre à l’étage, je me suis adressé aux parents d’abord ! fallait il regarder les autres fois pour savoir si cela se reproduisait ? je sais pas! et quand il y a eu des cris et des violences à mon domicile, aurais je admis que les voisins appellent les secours? parfois je me dis que oui car il y aurait eu une suite judiciaire que moi je n’ai pas poursuivie , et puis je me dis que non finalement, voir son histoire dans le journal n’est pas très plaisant ! que faire? comme vous, et ne pas juger quand cela tourne mal les témoins éventuels

  6. Lorsque qu’une situation familiale au tour de nous interpelle, intrigue, lorsque de tels faits se font jour dans notre environnement prore, il faut penser à un numéro de téléphone : c’est le 119 enfance en danger,ce service a été créer pour ça, c’est une sorte de sas, et cerise sur le gateau, l’appel est anonyme et gratuit.

    Des professionnels écoutent, analysent et transmettrent la transcription de l’appel aux services sociaux, si la situation l’exige.

    Néanmoins, à mon sens, des enfants sur qui on hurle tout le temps, qui sont laissés sans surveillance et qui se retrouvent (pour la plus jeune) en plein milieu de la rue et de passant, cela demande au minimum une prise de contact des services en charge de ses questions.

    Bon dimanche d’une lectrice assidue et fan de vos escapades autour du monde.

  7. Je suis désolé de ne pas partager votre enthousiasme pour la performance de Natalie Dessay dans le cadre du récital pour l’Unicef, qui était globalement bien en dessous de ce que nous pouvions en attendre, voire même parfois bien médiocre. Nous étions venus à ce récital à quatre personnes, avec des parcours et compétences musicales les plus diverses, et avons tous eu le même sentiment non pas de lui en vouloir d’être légèrement souffrante et en conséquence d’avoir quelques défaillances surtout en début de certains morceaux, mais surtout de donner l’impression d’être venue « en touriste » avec un niveau d’impréparation de certaines parties, s’accrochant à sa partition, ne maîtrisant pas son sujet alors que parfois, comble de l’ironie, il s’agissait d’oeuvres qu’elle avait maintes fois jouées et/ou enregistrées. Ceci était d’autant plus inadmissible qu’il s’agissait d’une démarche caritative pour laquelle le don de soi doit être total ou simplement décliné. Dans le même temps, son compagnon était par contre égal à lui même, sans faille, tout en majesté, et avec le plus grand respect pour son art et le public. Mauvaise rançon de la gloire Natalie. Et grosse déception pour les inconditionnels que nous étions.

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