Christmess

Je suis maintenant convaincu que Dieu existe, et plus particulièrement le purgatoire. Il était temps.

Je suis toujours resté très attaché à ma grand-mère. Certainement parce qu’elle m’a élevé depuis ma plus tendre enfance. Si je suis un gros con, je le lui dois. Les années ont passé, elle restait toujours la même pour moi. Quatre-vingt, quatre vingt dix, quatre vingt quinze ans. Elle prenait toujours soin de moi, terminant toutes nos conversations téléphoniques par un « je t’aime, sois prudent ». La voir vieillir seule, sans le moindre problème, restait la normalité. Elle faisait partie des meubles, des très vieux meubles.

Nous avons fêté ses cent ans en février dernier. Elle attendait ce jour avec beaucoup d’impatience et de fierté. Ma mère a organisé une petite fête à la maison, ses amis et voisins sont venus l’embrasser. Elle était également très heureuse qu’un journaliste de la gazette locale vienne la photographier. Etonnement vive, elle se déplaçait sans canne et passait son temps à engloutir un nombre considérable de petit-fours. C’était sa journée et elle en profitait. Ma mère semblait finalement la plus fragile des deux. Elle a depuis plus d’un an renoncé à son confort parisien pour s’occuper de sa mère, une aide à domicile ne suffisant désormais plus à garantir son quotidien. C’est un retour de boomerang assez violent. Ainsi a-t-elle passé plus de cinquante ans à s’occuper de patients au sein de l’Assistance Publique. Maladie, déchéance et mort faisaient donc partie de son quotidien. C’est un autre problème lorsqu’il s’agit de sa famille.

Certes, elle a tenu jusqu’à son centenaire, mélange de volonté et d’orgueil. Quelques semaines plus tard, tout cela était fini. Elle a renoncé. Assez de la dépendance, des douleurs, d’une peur irrationnelle de la nuit. Impression d’avoir fait le tour, depuis ses premières années au beau milieu de la grande guerre, son mariage, la naissance de sa fille, la seconde guerre mondiale, et tout le reste. Première hospitalisation, puis seconde. Le début d’un cycle infernal. Je suis descendu en Corrèze pour un voyage éclair de vingt-quatre heures le 7 août dernier. Je souhaitais faire d’une pierre deux coups. Descendre pour l’anniversaire de ma mère et rendre visite à ma grand-mère, hospitalisée une nième fois.

J’ai curieusement un attachement particulier pour les hôpitaux. Lorsqu’étudiant je cherchais un travail l’été, ma mère m’a immédiatement proposé de rejoindre la Pitié. Le choc fut violent, ayant intégré le service de neurochirurgie un jour de grande garde. C’était l’anarchie, l’horreur. La sécurité des patients et du personnel soignant n’était pas assurée. Je me souviens de beaucoup de sang, de corps abimés, de cadavres.

Je me souviens également de la détresse de certains patients, beaucoup de petits vieux, abandonnées par leur(s) famille(s). Ces patients n’avaient rien. Aucun vêtement de rechange, aucun nécessaire de toilette. Nous les frictionnions avec ces fichues bouteilles d’alcool camphré. La nuit, je passais des heures à leur tenir la main. Ils serraient très fort, avaient plus que tout besoin de ce contact. Lorsque je revenais le lendemain, je trouvais bien souvient la chambre vide. Je me suis toujours promis qu’aucun de mes proches n’aurait à subir une telle déchéance.

Seulement voila, on réagit différemment lorsqu’il s’agit de sa propre famille.

Ainsi ai-je eu à franchir les portes du petit hôpital Corrézien. L’odeur, le bruit des scopes, tout y était, comme un cliché. Première chambre, seconde, puis la sienne. Son visage était tendu, fatigué. Elle a vu une personne s’approcher et venir l’embrasser. Elle m’a reconnu et son regard s’est transformé. Elle semblait si heureuse que je sois là. Elle m’a serré fort, et a commencé à plaisanter sur son état. Je ne pouvais rien dire, mais le choc était assez violent car elle avait perdu une bonne dizaine de kilos depuis notre dernière rencontre. Je suis resté avec elle tout l’après-midi. Je devais rentrer tôt le lendemain matin et lui ai promis de vite revenir.

Promesse a moitié tenue, impossible de la rejoindre avant le premier week-end de décembre. Entre temps elle avait alterné hospitalisations et retours à son domicile.

Je n’ai hélas plus retrouvé la personne que je connaissais. Elle se comportait de façon irrationnelle, ne semblait pas me reconnaître, et était un tantinet agressive. Ma mère lui avait apporté à gouter. Elle s’est ruée sur la nourriture, comme affamée, sans dire le moindre merci. Elle se comportait comme un enfant, impatiente et capricieuse. L’instant suivant fut plus compliqué à gérer. Retrouvée effondrée dans les toilettes, je l’ai prise dans mes bras, le visage bleui et les mains pleines d’excréments, déposée sur le lit et ai fait sa toilette. Triste occasion pour moi de découvrir un corps squelettique et endolori.

J’eus accompli cette tache sans trop d’émotions lors de mes nombreux passages à l’Assistance Publique. Seulement voila, je ne travaillais pas, et j’avais ma grand-mère qui pleurait dans les bras.

Jamais je n’aurais pensé souhaiter son départ, mais il est temps maintenant.

Pas pour moi, ni pour ma mère. Juste pour elle que j’aime encore si fort.

20 commentaires sur “Christmess

  1. Ma mère, très chrétienne, a prié pour voir son père partir, parce qu’elle l’aimait trop pour le voir tel qu’il était devenu. Alors oui, je te comprends et suis de tout coeur, bien sincèrement, avec toi!

  2. Je partage et comprends tout ceci, pour l’avoir vécu également avec ma Mamie pourtant plus jeune. Les derniers temps, malade, elle n’était plus que l’ombre d’elle même n’ayant plus les facultés ni physique ni intellectuelles pour profiter de tout ce qui avait été sa vie, elle attendait sa fin…

  3. Il y a tellement d’amour et d’humanité dans tes mots.
    Je pense à toi, à ta maman et à ta grand-mère. Courage à vous trois dans des chemins différents …

    (Il n’y a pas beaucoup de familles qui sont épargnées par ce que tu racontes. Je l’ai aussi vécu avec mon beau-père)

  4. On aimerait tant que ce genre de déchéance soit épargnée à ceux qu’on aime – et pour soi-même de pouvoir choisir de partir à temps -. Courage pour ta mère et pour toi. Sans doute que beaucoup de tes lecteurs vont se sentir moins seuls en lisant ce billet.

  5. Ton texte me bouleverse, j’ai connu exactement la même chose cette année. En mai, ma grand-mère (95 ans) en a eu assez de l’hôpital et de la douleur. Elle a choisi une jolie matinée ensoleillée pour nous laisser.

    Je pense à elle tous les jours.

    Courage, roidetrefle.
    Je t’embrasse.

  6. Je te souhaite plein de courage. Des bises

    PS: j’ai du mal à faire le lien entre la phrase : « Si je suis un gros con, je le lui dois. » et celle-ci: « La nuit, je passais des heures à leur tenir la main. »

    N’y aurait-il pas une antinomie?

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