Dernières réflexions sur mon père avant de terminer chez Mireille Dumas ou de prendre des médicaments qui font voir les éléphants rose ou de commencer à fumer des cigarettes qui font rire et merde le titre est encore trop long

J’ai beaucoup pensé à la relation entretenue avec mon père ces derniers jours. J’ai tenté de décrypter, décortiquer, analyser chaque instant passé en sa compagnie. Avais-je fait quelque chose de répréhensible ? M’étais-je mal comporté ? J’ai finalement réussi à isoler trois périodes principales.

J’étais un enfant assez solitaire. Tout comme mes parents, je n’avais ni frère ni sœur. J’ai donc vite appris à gérer et à apprivoiser cette solitude. J’ai appris à rêver. Je me créais un monde. Mon monde. Je passais des heures à jouer avec mes Legos. C’était paradoxal. J’enviais parfois l’agitation des grandes familles. Cependant, lorsque je me rendais chez des amis, j’étouffais rapidement. Je ne supportais ni l’agitation, ni les cris.

Lorsque mon père venait nous rendre visite à Paris un week-end sur deux, l’emploi du temps ne variait guère. Je passais l’après-midi du samedi dans ma chambre. Nous dînions tous les trois comme une vraie famille. Je devais me coucher de bonne heure. Le lendemain, nous allions sans ma mère au cinéma voir un vieux western, genre cinématographique adulé par mon père, un péplum ou un vieux film américain des années 60. Pendant les fêtes de fin d’année, nous allions voir le Disney. J’ai ainsi écumé le Rex, le Kinopanorama , le Max Linder et la majorité des salles présentes sur les grands boulevards (hors cinéma pornos) pendant des années. Mon père ne me parlait que très rarement. Quand nous discutions, il ne parlait que de lui. Combien il était seul loin de nous en Bourgogne. Combien nous lui manquions. Tout aurait été si facile si maman le laissait remonter sur Paris. Il passait son temps à me culpabiliser.

J’allais le rejoindre dans l’Yonne pendant les vacances de la Toussaint, une semaine à Noël, et un mois en été. Le village était perdu dans la forêt et n’était habité que par une quarantaine de personnes. La maison était très grande. Le jardin aussi. Il donnait sur la rivière. Le climat était « continental ». Froid et sec en hiver, chaud en été. Il y avait une petite grange face à la maison. Il y entreposait le bois. Juste à côté se trouvait le garage.
Il y avait aussi clodo. C’était un chien de chasse récupéré par mon père. Le chien était battu par ses anciens propriétaires qui cherchaient à s’en débarrasser. Il passait son temps à aboyer mais ne pouvait pas faire de mal à une mouche. Clodo restait avec moi à la maison. Il fallait le faire sortir de temps en temps. Nous faisions des ballades dans les bois. Juste avant de quitter la maison, je le regardais et disais « pipi ». Il devenait tout fou et commençait à courir dans tous les sens à la recherche de la laisse.

Papa ne prenait jamais de vacances. Il travaillait du lundi matin au dimanche matin. Il partait vers 8h00 et revenait tard dans la soirée. J’ai compris plus tard qu’il rejoignait ma future belle-mère après ses domiciles. Le dimanche après-midi était consacré à la pêche et à la sieste. Il partait religieusement pêcher vers 13h00 et revenait vers 17h00. Il a tenté à maintes reprises de me communiquer cette passion mais rester le cul humide à attendre qu’un poisson bouffe un asticot ne m’excitait pas franchement. Je préférais rester une fois de plus dans le salon ou dans ma chambre à jouer avec mes Legos ou à lire un livre. Lorsqu’il rentrait, c’était pour faire la sieste. Il ne fallait surtout pas le déranger sinon il se mettait dans une colère noire. Il me demandait de le réveiller au bout d’une heure. Si je le réveillais, je me faisais engueuler car il n’avait pas assez dormi. Si je ne le réveillais pas, je me faisais engueuler car il n’allait pas dormir de la nuit.
En semaine, je passais mon temps à nettoyer et ranger la maison (mon côté Bree van de Kamp, déjà :blink_tb: ). Mon pauvre papa vivait seul. Il fallait bien que je l’aide. Il ne s’est jamais aperçu de rien et ne s’est donc jamais fendu d’un merci ou d’un compliment. Je passais du temps dans cette maison parce que j’étais son fils. J’avais un droit de résidence et je l’exerçais. Je ne savais pas si ma présence lui faisait plaisir. Il me disait parfois que je lui manquais, qu’il vivait seul et que sa vie était triste. Je me sentais encore plus coupable de l’abandonner lorsque je rentrais rejoindre ma mère à Paris à la fin des vacances.

Au début des années 80, j’étais encore en primaire. J’avais un meilleur ami, François. Il était fils d’immigrés espagnols. Ma mère avait sympathisé avec ses parents. Ils passaient souvent à la maison. Papa avait également sympathisé avec eux. Ils ne partaient en vacances que pendant l’été. François restait à Paris le reste du temps. Papa avait donc proposé à François de venir avec moi pendant les vacances. Je n’avais donc plus à rester seul. J’avais de la compagnie. De son côté, il se déchargeait d’un poids. Son fils avait un camarade de jeu.

Papa aimait vraiment François. Dans sa jeunesse, mon père avait fait beaucoup d’athlétisme. François lui rappelait le môme qu’il était. De mon côté, la pré-adolescence ne me gâtait pas. J’était bien enrobé et toujours aussi timide. François était élancé et sportif. Un soir, mon père a discuté seul à seul avec François. J’ai essayé d’écouter la conversation. C’était assez facile. Le salon se trouvait sous ma chambre et les poutres laissaient passer toutes les conversations. Papa lui disait qu’il aurait aimé avoir un fils comme lui, qu’avec moi ce n’était pas pareil. Cette conversation résonne encore dans ma tête. Il ne m’aimait pas.

Après, tout ne fut que vexations. J’étais trop gros, je ne me bougeais pas assez, j’étais bête, je n’avais rien dans la tête. Toujours les mêmes reproches, toujours les mêmes phrases, toujours en public. Je ne disais rien. J’avais honte. S’il le disait, c’était forcément vrai. Il avait passé une décennie à m’ignorer. Il allait en passer une seconde à me rabaisser, jour après jour.

Mes parents ont enfin divorcé à la fin des années 80. Quelques jours après le divorce, ma belle-mère s’est installée à la maison. Les relations furent tendues dès le départ. J’étais le représentant de ma mère et j’allais le payer. Mon père était totalement passif. Il avait vite compris qu’il ne devait en aucun cas prendre position contre la personne qui partageait sa vie. En semaine, j’étais coincé à la maison. N’ayant pas mon permis de conduire, je ne pouvais pas m’échapper et vivais dépendant des déplacements de mon père et de sa femme. Lorsque j’étais seul, je n’avais accès à aucun placard, à aucune armoire. Tout était fermé à clef. Mon père m’a même un jour accusé de lui avoir volé des petits sabots en cuivre, souvenirs de sa mère. Je savais ou se trouvaient ces sabots. Je les ai violemment projeté contre un mur en lui ordonnant de ne plus jamais m’accuser de vol.

Le temps passait, la maison se transformait, mes souvenirs disparaissaient, je dormais dans une chambre d’ami. Ma belle-mère avait fait rajouter une nouvelle aile à la maison. Il y avait une gigantesque salle de bain. Des miroirs bordaient la grande baignoire. Il était interdit de projeter de l’eau sur les glaces sous peine de remontrance.

J’étais depuis peu à la faculté. Mon père ne s’intéressait toujours pas plus à moi. Je tentais de prendre mon indépendance. Je commençais à l’affronter, à lui tenir tête. Je ne supportais plus ses discours politiques nauséabonds. Je tapais du poing sur la table. Il était persuadé que j’étais communiste. Les années passaient. Sa seul préoccupation était la pension alimentaire. Je continuais à y aller par devoir filial. Je mettais des jours à me remettre de mon séjour. J’avais derrière moi plus de 25 ans de lavage de cerveau. Je détricotais tout petit à petit. Tout se mettait en place et je me rendais compte qu’il s’était moqué de moi pendant toutes ces années. Un jour, j’ai décidé de ne plus donner de nouvelles.

En rentrant de notre dernier week-end de ski, ma mère m’a annoncé que mon père avait essayé de la joindre par téléphone. Il ne comprenait pas pourquoi je ne donnais plus signe de vie. Il lui a dit « Quand même, c’est notre fils, il faudrait s’en occuper ».
Elle lui a juste répondu qu’il avait mis plus de trente ans à s’en rendre compte. Elle lui a répondu que j’avais certainement de bonnes raisons. Elle avait raison.

Comme elle le dit si bien, « ce n’est pas une fois que l’on a fait dans les draps qu’il faut serrer les fesses » . :clap_tb:

J’adore cette expression !

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