Le barbier de Calcutta

Je passe mon temps à découvrir mon nouveau quartier. Le dixième arrondissement semble plus dense, moins verdoyant et surtout plus agité que mon ancien quartier. La rue Lucien Sampaix croise le boulevard Magenta et s’étend du canal au nord au boulevard Bonne Nouvelle au sud. Il est possible de se retrouver dans le centre de Paris en quelques minutes en empruntant les nombreux passages qui s’offrent aux piétons. Passages sordides, passages commerçants, passages chics deviennent les meilleurs amis du flâneur. Ces raccourcis sont également les meilleurs amis de Snooze qui commence à apprécier d’habiter dans un quartier central, c’est à dire à 3 minutes du Marais en vélo. Le canal à un certain charme et les bourgeois bohèmes côtoient les sans-abris et les plus modestes. Il existe une mixité sociale mais également culturelle. Epiceries asiatiques ou nord-africaines au nord du canal, salons de coiffure afro-antillais proches de la porte Saint-Denis et enclave indienne autour du passage Brady.

C’est en flânant dans le quartier indien à la recherche d’épices, de nans à la vache qui rit et de sauces que j’ai découvert une multitude de salons de coiffure pour homme proposant la coupe au tarif imbattable de six euros. Après avoir juré fidélité à mon ancien coiffeur du Salon Camille Albane de la rue de Picpus qui me soutirait 26 euros pour une coupe approximative, j’allais enfin découvrir les joies de l’exotisme et de l’économie en poussant la porte du joyeux barbier de Calcutta.
Camille proposait des écrans LCD diffusant le dernier concert de Shakira alors qu’une shampooineuse à forte poitrine me massait le cuir chevelu. On me proposait le dernier Madame Figaro et un café, et je passais au salon pour la coupe. Je n’étais coiffé que par Fred, meilleure source pour connaitre tous les potins du quartier. Il venait de se faire plaquer par sa femme, partie avec son meilleur ami en lui réclamant une pension alimentaire astronomique. La propriétaire du salon était chaude comme de la braise et trompait son mari. Sans compter sur la tenancière de l’agence immobilière en face ni sur le boucher d’à côté qui devait être pédé. Trente petites minutes pour connaitre la vie sexuelle de tout le secteur Picpus-Nation.

Un véritable régal. :jittery_tb:

Chez Ajatashatru, point de chichi. Pas de shampooing ni de blabla. On passe directement à la coupe :

(i) On attaque brutalement avec la tondeuse, (ii) on affine avec les ciseaux et enfin (iii) on achève le cheveu rebelle avec le rasoir. Mon coiffeur est une véritable machine de guerre âgée de vingt-quatre ans dont quatorze de coiffure. Ce n’est pas son métier principal. Il travaille la nuit à l’aéroport de Roissy et ne coiffe que par plaisir. Il n’a que deux amours dans la vie : Les femmes et la coiffure (sic). J’ai serré les fesses au tout début, persuadé de ressortir avec une coupe au bol immonde m’obligeant à retourner chez Camille en pleurant ma mère pour réparer les dégâts. J’avais juste demandé de bien dégager les côtés et la nuque. Mais non, rien à redire, tout était impeccable. La musique était à fond et clients et coiffeurs chantaient et dansaient dans la petite échoppe. C’était la fête du slip. Seul petit bémol. Ne jamais accepter la couche de gel finale. Je me suis ainsi retrouvé avec une bonne livre de matière gluante violette dégoulinant dans le bas de ma nuque plaquant mes cheveux façon yéti. Qu’importe. La maison se trouve à quelques minutes du salon rendant l’humiliation supportable.

Il suffit juste de ne pas tomber sur Snooze en rentrant. Le lapin crétin risquerait d’immortaliser la scène en me prenant en photo. Il sait cependant qu’il ne faut pas jouer avec le feu. J’ai encore un grand stock de clichés du temps ou il n’avait pas la coupe Monsieur Propre. En conclusion, la coupe militaire associée à une légère dermatite provoquée par le frottement de la tondeuse de l’espace m’est revenue à six euros.

Qui dit mieux ? :king_tb:

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