The man I love

Cela va faire seize ans que je partage ma vie avec mon nain de mari. Quarante-quatre ans en années Matoo. Nous nous chamaillons toujours au sujet de cette date. S’il est persuadé que notre d day était un 10 octobre, je reste convaincu qu’il s’agissait d’un 13. Nous n’avons jamais fait de plan sur la comète. Il était à l’époque mon meilleur ami, il l’est resté et est devenu mon meilleur amant. En même temps, il m’est impossible de comparer avec quelqu’un d’autre car il reste l’unique homme de ma vie. Je me considère donc comme quatre fois chanceux: (i) mon mari est fidèle, (ii) il est unique, (iii), notre histoire dure depuis l’antiquité et (iv) je n’ai jamais eu à ramer pour trouver ma moitié ni fréquenter réseau quequette ou j-ai-le-feu-au-derrière.com. Mais si tout semble idyllique sur le papier, notre vie n’a jamais été un long fleuve tranquille.

Nous avons pris le temps de nous connaître et nous apprécier mutuellement. Nous nous sommes rencontrés quelques jours après notre arrivée à la Faculté. Ce n’est qu’après deux années d’amitié que j’ai fini par oser mettre ma langue dans sa bouche. Nous étions tous plus ou moins perdus dans la jungle estudiantine. Nous avons mis quelques semaines à former un petit groupe. La pioche fut bonne car nous sommes restés très liés pendant près de dix années d’université et le sommes toujours. Cependant, même si nos amis étaient les meilleurs du monde, nous n’avons pas osé, du moins au début de notre relation, annoncer que nous étions ensemble donc homosexuels. Le temps et les petits mensonges passants, il s’est avéré de plus en plus complexe de révéler à nos proches que nous formions un couple. Snooze a cependant dégainé le premier en affichant ouvertement son homosexualité. Cette annonce a été le point de départ de sa nouvelle vie et lui a permis de se transformer aussi bien moralement que physiquement. Je restais de mon côté aussi asexué qu’une huître en élucidant en permanence la question.

J’ai fini par voler de mes propres ailes en quittant l’appartement familial. Je me suis installé dans le douzième arrondissement au début de mon doctorat. Snooze n’avait pas encore terminé ses études et me rejoignait en fin de semaine. Il supportait de plus en plus mal de vivre caché et de ne pas pouvoir s’afficher avec la personne qu’il aimait. Il me lança donc un ultimatum en me demandant de choisir entre notre relation et mon coming-out. J’ai instantanément feuilleté les pages de mon carnet d’adresses et j’ai téléphoné à tous mes amis. Allo, bonjour, c’est Alex. Je voulais juste te dire que j’étais pédé et que Snooze était mon chéri depuis près de sept ans. Bip. Allo, tu es toujours là hein? L’épreuve fut un peu plus douloureuse avec ma génitrice. Si l’annonce passa en douceur, la nuit porta mauvais conseil. A son réveil, ma douce maman s’était transformée en une harpie hystérique qui m’annonça, la bave aux lèvres et l’index accusateur, qu’il était hors de question qu’elle accueille de nouveau mon amant sous son toit. C’était elle ou lui. J’ai très vite choisi. Je n’ai jamais eu à annoncer la nouvelle a mon père. Snooze s’en est chargé. Je n’ai plus reçu la moindre nouvelle de sa part depuis. Rien ne sert de revenir sur le passé. Peut-être mes parents étaient-ils jaloux que je réussisse ma vie sentimentale alors que leur couple n’avait été que fadeur, tromperie et mensonge.

Je suis maintenant intimement convaincu que je finirai mes jours en sa compagnie, même si j’ai souvent envie de claquer la porte. Car Snooze est un gamin trentenaire portant ses qualités et ses défauts. J’aime le regarder dormir le matin. J’aime son inconscience, sa gentillesse et surtout son insouciance. J’aime surtout quand il me regarde et qu’il laisse transparaître toute l’affection qu’il me porte. Je sais qu’il m’est possible de compter sur lui dans les moments difficiles, et c’est pour moi le plus grand des luxes. A contrario, j’ai souvent l’impression de m’être substitué à ses parents. M’occuper du quotidien me pèse. Il pense toujours vivre au pays du manège enchanté et certaines considérations bassement matérielles lui échappent. C’est parfois épuisant mais j’en ai pris depuis longtemps mon parti. J’ai cependant parfois l’impression qu’il se moque de moi. J’en profite alors pour sortir les crocs. Ce crétin refuse ainsi de soutenir sa thèse depuis des années et cette obstination m’irrite au plus haut point.

Nous partageons finalement chacun une partie d’insouciance. Nous avons mis tous nos oeufs dans le même paniers en achetant notre appartement. Ce qui est à lui est à moi et vice-versa. Nous ne sommes ni mariés, ni pacsés. Nous n’avons pas contracté d’assurance en faveur de l’un ou de l’autre ni rédigé le moindre testament. Si un accident survenait, l’autre se retrouverait instantanément dans la mouise. Nous vivons donc en ne voyant pas plus loin que le bout de nos nez respectifs. Je reste cependant aigri et en colère de ne pas pouvoir officialiser notre relation comme n’importe quel couple. Combien faudra-t-il attendre d’années pour pouvoir commander une pièce montée dominée par deux maris en sucre chez notre pâtissier préféré et convier tous nos amis à partager notre bonheur? Je n’en sais rien.

En attendant, nous poursuivons notre chemin min dans la main, comme au premier jour.

Et c’est bien comme ça.

48 commentaires sur “The man I love

  1. Je lis ici depuis un moment mais je n’avais jamais commenté … Quelle belle déclaration d’amour ! Bien des couples devraient prendre exemple ! Tu es horripilé par ses défauts, il te fait parfois sortir de tes gonds et alors ?? Tu l’aimes, il t’aime vous vous aimez et ça vous suffit ! Merci pour ce petit moment de bonheur !

  2. Je crois que c’est mon premier com’ sur ton blog. Félicitations! Malgré que je comprenne très bien que vous aimiez votre insouciance il serait quand même prudent de vous protéger, financièrement parlant, l’un et l’autre. Ça aussi, ça fait partir de l’amour que vous avez l’un pour l’autre, de protéger l’autre si un jour un pépin arrivait.

  3. Si tout le monde pouvait écrire des billets tels que les tiens roidetrefle, ça ferait du bien un peu partout :happy_tb:.
    Beaucoup de bonnes choses à vous deux et une longue route ensemble avec vos bonheurs et tracas de la vie quotidienne :bye_tb:

  4. Que dire si ce n’est que :
    1. je suis tout ému à le lecture de ce billet
    2. je suis sincèrement très heureux pour toi/vous
    3. je nous souhaite le même parcours à FIUUU et moi.
    Bisous à toi et à ton snooze d’amour :bye_tb:

    GOSSBEAU

  5. Bon … même si, t’en es-tu seulement rendu compte, tu t’es contenté de recycler des choses que tu nous a déjà racontées de façon éparse, je trouve votre histoire très chouette ! Je rêverais d’être invitée à votre union quelle qu’elle soit, je peux même te donner une photo d’une pièce montée que j’ai faite moi-même de mes blanches mains, pour te tenter … mais pitié, pour les trucs juridiques, faites-le, ça ne fait mourir personne et c’est trop con que l’un d’entre vous passe éventuellement le reste de sa vie à regretter …

  6. Ah roidetrefle nous avons le même mari ! Je ne vais pas te rassurer en plus : le mien a bientôt 51 ans ! Vois-tu ce qui t’attends pour les années à venir ?! ça ne fait rien on les garde :))

    PS : vous pourriez vous pacser non ? ne serait-ce que pour l’appart.

  7. Quant à nous, pas de litige pour la date anniversaire : nous l’avons fixée au 1er novembre (c’est gravé dans nos alliances), et fêterons donc nos 18 ans de vie commune le mois prochain. Comme toi je l’ai connu à la fac (et comme toi j’ai été arnaqué sur sa capillarité ^^), mais à la différence de vous nous nous sommes pacsés en 2002, plus pour le symbole que pour la protection sociale (si nous avons placé nos œufs dans le même panier il n’y a cependant pas de quoi faire une omelette !)
    Pour être un honnête lecteur de pédéblogs, je trouve agréable, et peut-être même bon, de rappeler, tel que tu t’y emploies, la possibilité de vivre durablement à deux, en dépit des discours nous accusant de nous conformer à une déplorable hétéronormalité…

  8. Très joli texte … C’est la première fois que je commente chez toi. C’est parce que je suis une peste :devil_tb: qui n’a pu m’empêcher de sourire à ceci: « Je restais de mon côté aussi asexué qu’une huître en élucidant en permanence la question. »
    Élucider ou Éluder la dite question, fort en toi devait être le désir de l’élucider en effet…

  9. Bravo ! ça fait vraiment plaisir de lire un tel article. Et vive les titillements, aussi. Si c’était rose tous les jours, cela ne serait pas aussi bien, non, d’être deux ?
    Je vous souhaite encore d’autres belles années :thumbup_tb:

  10. Très émue quand tu parles de tes parents.

    Je crois que si j’avais été ta maman je t’en aurais voulu très fort de ne pas m’avoir présenté ton chéri comme étant ton chéri, et que tu n’aies pas partagé ton bonheur avec moi. Mais le rejet si fort… C’est quelquechose que je ne parviens même pas à comprendre. Je n’ai pas encore d’enfants mais pour mes proches, jeunes et moins jeunes, la seule chose qui m’importe c’est de les savoir heureux et partageant de bons moments avec un conjoint qui les aime. De quel sexe est cette personne, c’est un détail sans importance.

    Le lien que vous n’avez pas le droit de nouer légalement aussi, je trouve ça désolant. non que j’aie envie de voir tout le monde se marier, hein :D. Je pense simplement que c’est un choix qu’on devrait pouvoir faire librement sans que ça ne regarde qui que ce soit d’autre que les conjoints : pour moi, le mariage est une promesse d’honorer certains devoirs l’un envers l’autre, que l’on se fait mutuellement et devant ceux qu’on a choisis pour l’entendre. ça n’a rien à voir non plus avec le sexe des conjoints. Il est grand temps que les pays dits évolués qui ne l’autorisent pas encore évoluent justement jusque là.

  11. Pour moi qui ai eu la grande joie de vous rencontrer et de passer du temps avec vous deux, quoique brièvement je trouve que c’est un très très beau billet. Même si perso je suis plus Snooze que roidetrefle dans ma laïfe!

    Vous venez quand chez moi que je vous présente Parker la reine du château et son humour trop british? (Et moi aussi je le regarde dormir mon mari)

  12. ça me rend tout chose :wub_tb:

    plein de bonheur
    et puis notre ‘anniversaire’, avec mich », est presque en même temps que vous puisque pour nous c’est en ce moment (bon pareil la date ba euh pas trop précise)juste que ça fait un an pour nous (7 en Matoo c’est ça nan?)…

  13. Eh bien voilà une très très belle histoire, qui permet de dire que l’amour durable entre 2 mecs existe.
    Je viens de découvrir ton blog, et je suis déjà fan, la lecture me donne envie d’en connaitre plus…

  14. euh…

    j’ai eu l’âge du Christ à sa mort il y a peu.

    et ton histoire me fait rêver. elle est belle, merveilleuse.

    et… elle à toi… et ça, ça me fait moins rêver.

    moi, les http://www.jesuistropnuljeveuxtrouverunmec.com et j’en passe et des bien pires – parcs, lieux de drague,saunas, et autres backrooms sordides, j’ai pas fait que regarder leurs noms dans des guides gay… et… toujours seul. et pour longtemps.

    il y a bien une raison, plusieurs mêmes peut-être. where’s there’s smoke, there’s fire

    alors, oui, je suis un peu jaloux. mais content pour toi, pour vous.

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