Chicago, c’est beau, le Cherry Coke Zero, c’est bon, et Abercrombie, c’est totally has been

Je me souviens parfaitement du premier jour où j’ai posé les pieds aux Etats-Unis. Le sept septembre 1993. Juste après avoir passé nos examens de rattrapage à la Faculté, nous nous sommes envolés en compagnie de Vicky et Snooze pour New-York. Nous avions tout planifié jusqu’aux moindres détails. Etant étudiants donc fauchés, nous avions choisi une compagnie aérienne low cost avant l’heure. Le vol était fumeur et le service déplorable. A l’arrivée, nous avions décidé d’un commun accord de prendre un taxi car le New-York d’alors était loin d’être sans risque pour les petits touristes dodus, naïfs et sans défense que nous étions. Perdu. Le taxi que nous avions choisi était un filou qui n’a pas hésité à nous racketter jusqu’au dernier Dollar sous peine de nous débarquer en plein Bronx au beau milieu de la nuit. Même si cette première expérience fut loin d’être concluante, je retourne aux Etats-Unis tous les ans. C’est comme une drogue. Sauf qu’il y a quelques jours, j’ai bien failli être refoulé quelques minutes après mon atterrissage et presque forcé de montrer ma bite au douanier qui a vérifié mes papiers. Welcome to America buddy!

Cela fait maintenant sept longues années que je voyage avec ce passeport. Je me suis rendu plusieurs fois en Chine, au Japon, en Inde, un peu partout en Europe et de nombreuses fois aux États Unis ou au Canada. Personne ne s’était rendu compte, moi le premier, que mon passeport indiquait que j’étais une femme. Oui, un crétin a indiqué F au lieu de M dans la case sexe. Ça dépend ça dépasse. Le douanier, un peu gêné, m’a invité à le suivre à l’abri des oreilles indiscrètes.

« Monsieur, n’y voyez aucune offense de notre part mais j’ai une question très indiscrète à vous poser. Avez-vous déjà été une femme ? »

N’ayant aucune autre pièce d’identité sur moi, la prochaine étape était très certainement le déculottage. Après une longue discussion, j’ai réussi à convaincre le douanier zélé de me laisser partir en lui promettant de rectifier le tir dès mon retour à Paris.

Je reste toujours effaré par la vision archaïque et snobinarde que le français moyen a de nos amis nord américains. Pour beaucoup, l’Americanus Bastardus n’est qu’un crétin, inculte et obèse, qui ne connaît (au mieux) que son Etat, évoluant au beau milieu d’une horrible société consumériste uniquement intéressée par le gain immédiat. En France, tout n’est que culture. Le Français est beau, intelligent et à l’écoute de son prochain. Nos villes sont propres et sentent la lavande. Notre alimentation est irréprochable. Il n’existe aucune tension entre les communautés. Quel contraste.

Non, tout n’est pas si simple. Il existe bien entendu une zone grise.

J’ai certainement eu beaucoup de chance, mais j’ai toujours rencontré de charmantes personnes dans ce pays (excepté le chauffeur de taxi). Je n’ai qu’un point de vue de touriste/travailleur ponctuel, donc salement biaisé. Oui, la société est radicalement différence, mais il y a un je-ne-sais-quoi de touchant. Des petits trucs de rien du tout. Des odeurs (cerise ou cannelle ultra chimiques, l’odeur du métro reconnaissable entre mille), des sons (les sirènes des voitures de police ou les pompiers), des goûts (souvenir ému de mon premier Big Red, Cinnabon ou Dunkin Donuts glacé au chocolat). Lorsqu’on rentre dans un magasin on vous dit toujours bonjour. Lorsqu’on fait un footing, les gens vous sourient et vous encouragent. Lorsque l’on est seul dans un hôtel, perdu dans la rue, on trouve toujours une âme charitable pour dispenser de l’aide. Ce n’est pas le pays des Bisounours, loin de là, mais il y a ici des conventions, des traditions, des lois, une certaine idée du respect que l’on ne retrouve plus et cela depuis bien longtemps chez nous. Lorsqu’on paye pour un service, on reçoit un service. Un deal est un deal. La société peut paraître plus sanglante, mais lorsque l’on travaille dur et que l’on obtient des résultats, on est rapidement récompensé (généralité très générale).

Je me souviens avoir passé quelques jours au sein de la croix rouge américaine à Bethesda dans le Maryland il y a quelques années. Contrairement à la France, il n’existe aucun poste définitif. Sans résultat, le chercheur lambda est invité à quitter son institution. Les troupes sont donc plus que motivées. Il serait impensable de payer une personne à ne rien faire. Je ne balancerai aucun nom.

On peut également parler du système de santé, ou plutôt de l’absence d’une vraie sécurité sociale. Tout cela est vrai. Globalement, le prix des médicaments est bien plus élevé qu’en Europe, et pour une raison très simple: le patient américain prend en charge une grande partie des coûts de recherche et de développement en payant le prix fort, permettant aux européens de négocier à la baisse les tarifs proposés par les firmes. On remercie donc très fort les malades américains. Je n’aborderai pas le système politique qui reste pour moi très complexe.

Mais le mot qui caractérise le plus cette société est certainement le mot contraste. Ce pays est celui des excès. Violent, charmant, pauvre, riche, paumé, cultivé, malade, arrogant, honnête, altruiste, militant. On peut comparer ce pays à ses supermarchés ou à sa télévision. Gigantesque. Un grand rayons fruits et légumes/produits biologiques/nourriture ultra saine faisant face à un autre grand rayons junk-food/sodas sucrés/sauces/pâtisserie industrielle. Même constat à la télévision. J’étais fasciné de voir retransmis en quasi prime time le « National Spelling Bee » sur ABC, l’un des quatre grands réseaux américains. Le spelling bee est une compétition d’orthographe. Des enfants de moins de 16 ans sont invités à épeler devant une grande assemblée des mots peu utilisés dans le langage commun (j’ai notamment relevé dacquoise, gyokuro, engysseismology, mauka, confiserie, netsuke, aguinaldo et tailleur). Un jury leur donne la définition du mot, la bonne prononciation et un exemple d’utilisation. Mais cette épreuve est bien plus qu’une compétition. La grande majorité des participants est issue des minorités. Réussir ce concours est une grande fierté et surtout une preuve d’intégration. Les $ 30.000 de cash ne sont que la cerise sur le gâteau. A côté de cela, on retrouve les pires emissions/séries interrompues toutes les cinq minutes par un tunnel de publicité sur la Fox.

En bien ou en mal, l’ensemble de ces contrastes permet de faire bouger les choses. Tout n’est donc pas si simple, chaque pays possédant les avantages de ses inconvénients. Mais oui, je l’avoue, je suis un tantinet atlantiste. Shame on me. Ou pas.

Cette fois-ci, je ne suis pas à Chicago pour le plaisir, quoi que, mais pour assister au congrès de la société américaine de cancérologie. Tous les ans au mois de juin, les personnes impliquées directement ou indirectement en oncologie se retrouvent pour une petite semaine. On y croise chercheurs, médecins, pharmaciens, représentants des firmes pharmaceutiques, enseignants ou survivants. C’est un peu la fashion week du cancer. Près de trente mille personnes sont attendues. Le centre Mac Cormick, lieu d’accueil de la manifestation, est gigantesque. Certaines salles peuvent contenir plus de dix mille paires de fesses.

Les plus grandes annonces sont réservées à ce congrès, les intervenants étant parfois considérés comme des rock-stars. Il n’est pas rare que le cours de bourse des firmes grimpe ou dévisse après une présentation. Cette années, trois types de molécules se partagent la vedette: (i) un anticorps a montré d’excellents résultats dans le mélanome métastatique, (ii) des inhibiteurs d’une molécule impliquée dans la réparation des dommages de l’ADN et montrant des résultats dans le cancer de l’ovaire et dans le sein, et enfin (iii) des produits utilisés dans un certain type de cancer de la prostate. On y croit tous bien fort.

Mais le congrès est également un moyen de communiquer et de montrer qu’on a la plus grosse. Les laboratoires dépensent de grosses sommes en montant des stands gigantesques. Sans cracher dans la soupe, de nombreux experts se font grassement payer le congrès par des laboratoires. Beaucoup se comportent en divas, uniquement parce qu’ils ne voyagent pas en classe affaire ou ne séjournent pas dans un palace. On les retrouve en ville à se chamailler pour un t-shirt un peu pourri chez Abercrombie (qui risque rapidement de passer de mode, moi, je dis ça, je dis rien) ou à vendre leur âme pour un dîner gratuit.

Rhalala. Je me souviens avec beaucoup d’émotion de mes premiers congrès. Tout était compté. Nous étions fiers de présenter nos résultats et surtout d’avoir la chance. Mon ami François et moi concourions à l’époque au titre du poster le plus moche de l’année. C’était le bon temps.

Jusqu’à l’année dernière, le congrès de l’ASCO (american society of clinical oncology) était ventilé entre la Nouvelle Orléans, Orlando et Chicago. Un accord a été trouvé avec cette dernière ville pour les dix prochaines années. Et cela tombe bien, parce que Chicago est de très loin ma ville préférée. Tout est bon dans le cochon. La localisation, l’architecture, l’offre culturelle, les services, le shopping, la nourriture, le habitants, tout est chouette ici. La ville est propre et les buildings sont impressionnants et rutilants.

C’est un anti Manhattan. Contrairement à New York, la ville n’encercle pas la verdure. Les parcs sont très nombreux et le centre ville fait face au lac Michigan et ses nombreuses plages, un véritable ballon d’oxygène. Même si la cité a prospéré depuis, on s’imagine parfaitement croiser au coin d’une rue Eliot Ness ou Al Capone. Les anciens bâtiments on intelligemment été protégés, rénovés et intégrés au milieu des nouvelles constructions, massives et très imposantes. On y trouve également le plus haut building des Etats-Unis, la Sears Tower, et son métro si typique.

Lorsque je suis à Chicago, je ne descends pas dans un grand hôtel. Contrairement à mes collègues, je ne souhaite pas forcement vivre en vase clos et me retrouver 24 heures sur 24 en compagnie de personnes que je n’apprécie pas forcement ne m’excite pas plus que cela. J’ai surtout trouvé un endroit idéalement situé, endroit qui me permet de vivre à l’américaine pendant la durée de mon séjour. Je réserve une chambre dans un Bed and Breakfast magique magique. Je bénéficie d’un petit appartement très chaleureux. La propriétaire est toujours présente pour me rendre service. Le matin, je suis chouchouté avec ses délicieux muffins tièdes et son today’s special. Le soir, je vais au restaurant ou je me prépare mon dîner, selon mon humeur. J’erre des heures dans le supermarché voisin à dénicher des produits incroyables, je me loue un DVD, flâne dans les rues, vais au cinéma ou pars courir le long du lac. Le matin, je quitte ma jolie maison une casquette sur la tête, une pomme dans mon sac et un pot de chambre rempli de café à la main.

Je suis vraiment comme un poisson dans l’eau. Epanoui et heureux. Un véritable américain, les kilos en moins (ouh le vilain cliché). Pas trop envie de rentrer, là, tout de suite, maintenant. :dunce_tb:

11 commentaires sur “Chicago, c’est beau, le Cherry Coke Zero, c’est bon, et Abercrombie, c’est totally has been

  1. « j’ai réussi à convaincre le douanier zélé de me laisser partir en lui promettant de rectifier le tir dès mon retour à Paris. »

    Tu compte rectifier tes papier ou ton sexe ? :clap_tb:

  2. C’est exactement l’avis que j’ai des USA depuis mon seul et unique voyage en Californie. Les gens sont vraiment très cool…and the gang.

    Pour moi Abercrombie est déjà has been depuis que j’ai observé de jeunes bobos afficher fièrement le logo AF dans les rues de Aix en Provence.

    Hollister qui est une marque du groupe Abercrombie devrait peut-être intéressé roidetrefle :dunce_tb:

  3. « La propriétaire est toujours présente pour me rendre service. Le matin, je suis chouchouté avec ses délicieux muffins tièdes et son today’s special. » : méfie-toi, quand elle se rendra compte que tu es une femme, ça risque de changer !

    PS : Euh, c’est pas 5 ans la péremption des passeports ? (j’ai toujours du mal avec les documents)

  4. Très beau texte sur Chicago. J’adore cette ville dans laquelle j’ai la chance d’être allé plusieurs fois. Tes photos sont extras. Es tu allé au musée d’art contemporain et dans sa chouette boutique? J’ai rapporté des sacs en ceintures de sécurité…
    J’aimerai bien avoir l’adresse de ton bed and B.
    C’est la première fois que je commente mais j’aime beaucoup ton blog et le style de tes textes. Véro

  5. Hiiiiiii, oui, je n’y avais pas pensé. Je suis officiellement une femme, Snooze est un homme, nous allons donc pouvoir nous marier et avoir beaucoup d’enfants! :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb: :thumbup_tb:

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